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/ Numéro hors-série "Pandémie, vies humaines" Le temps du confinement

À résidence

Jours 55 et 56
Fin du confinement

Journal de confinement Gilles Bertin

par Gilles Bertin

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aller au 10e, 20e, 30e, 40e, 50e, dernier jour

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1 mardi 17 mars, 1er jour

Pas de photo ce premier jour, mardi 17 mars, le besoin en viendra seulement le lendemain. Je, nous sommes sidérés.

Macron, veste bleu roi, a annoncé le confinement hier soir, vers 20h10, après avoir tourné autour du pot, s’être félicité de la farce de la tenue du premier tour des municipales et avoir morigéné les inconscients sortis au soleil de dimanche.

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2 mercredi 18 mars, 2e jour

Désir ou besoin de noter les jours, qui vont être nombreux, semblables, mais aussi dissemblables. Ce paysage va aller vers le printemps, et nous serons différents aussi, et nous ne savons pas en quoi. Besoin de noter les jours, de les compter, les énumérer, d’empiler les photos comme on arrache une feuille à un calendrier mural. Celui dans la chambre de mon père est resté arrêté sur le 20 avril, jour de sa mort. Tourner les pages.

3 jeudi 19 mars, 3e jour

Ciel bleu, plein d’énergie. Joie. Celle des débuts ? Ainsi, ce devrait aller.

4 Vendredi 20 mars, 4e jour

Elle est rouge, elle est là ce matin.

5 Samedi 21 mars, 5e jour — « Printemps »

Déprime depuis hier tantôt, après balade dans les rues aux angles perpendiculaires, orthogonaux, qui ne sont plus cassés par les gens avec leurs sacs à dos, leurs cabas, leurs dogs, leures trottinettes… Les rares passants changent de trottoir. Ciel très gris, le froid est de retour, saillant. Un pharmacien sur le seuil de sa pharmacie nous dit d’acheter du rhum en guise de gel hydroalcoolique. Ironie glaçante d’un professionnel dépourvu de moyens par l’impéripétie du ministère français de la santé.

6 Dimanche 22 mars, 6e jour

Dimanche sans dimanche, jour pourtant habituellement plus léger. Le vent a soufflé toute la nuit, avec des sifflements et des claquements. Envie de forêt, de plage.

Lundi 23 mars

Une deuxième tulipe s’ouvre. Le flou lumineux à droite est impossible à dissiper quels que soient les réglages. Il n’en faut tirer aucun signe en dépit de la tentation de vouloir lire mon/notre futur dans le monde, liés comme à chacun de ses matins. Depuis petite ma fille adore Le roi Lion, de Disney, et dans cette animation il y a ce lever de soleil que contemple Simba du haut du rocher.

Mardi 24 mars

Le silence

Rien, et fort heureusement pas de symptômes de cette saleté de maladie. Rien, sinon la désormais routine du télétravail et des repas à domicile, et des fréquents petits gestes d’affection. Rien, sinon le silence. Plus de cris d’enfants à la récréation, plus de bruits d’avions ni de voitures, hormis, le roucoulement d’un pigeon, le chant des pinsons. Rien. Certains jours vides de l’enfance ressemblaient à ces jours qui se succèdent pareils. Rien, ne pas choper ce virus.

Mercredi 25 mars

Pôles nord d’aimants
pôles sud sur les trottoirs
des épiceries des rayons de surgelés
on s’approche on se repousse
la densité démographique vibre au vent de la crainte du virus.

Corps qui sautent :
La corde à sauter maison de Juliette Pierens, documentaliste FR3 Basse-Normandie.

Jeudi 26 mars

10e jour

Juste un morceau de ciel, toujours le même, où montent ces tulipes. Ce matin, il a fallu fabriquer des chiffres pour le passage à la dizaine. Jusqu’alors, ils existaient « tout faits » dans le logiciel de publication du site. Juste un ciel, le même morceau, à résidence, celui des prisonniers, des enfermés, des enclos.

Vendredi 27 mars, 11e jour

« Mais il me paraissait extravagant, inouï, qu’une portion du monde me soit interdite, qu’elle me reste étrangère, que ma vie, en fin de compte, se limite à moi-même. » écrit Georges Simenon dans Le passage de la ligne.

Samedi 28 mars, 12e jour

Confinement - Samedi 28 mars 2020
« Au sein de cette aventure inconnue chacun fait partie d’un grand être constitué de sept milliards d’humains, comme une cellule fait partie d’un corps parmi des centaines de milliards de cellules. Chacun participe à cet infini, à cet inachèvement, à cette réalité si fortement tissée de rêve, à cet être de douleur, de joie et d’incertitude qui est en nous comme nous sommes en lui. Chacun d’entre nous fait partie de cette aventure inouïe, au sein de l’aventure elle-même stupéfiante de l’univers. » Edgar Morin, sociologue, 98 ans, dans Libération

Dimanche 29 mars, 13e jour

Lundi 30 mars, 14e jour

Mardi 31 mars, 15e jour

Un avion est passé, ce matin. Le premier depuis plusieurs jours. En temps habituel, ils sont deux trois par heure. Pensée instantanée que nous avons partagée : transporte-t-il des masques ? Le silence, hormis cet avion, et le roucoulement d’un pigeon. Et comme souvent à cette musique, arrive le souvenir de cette cour de Saint Pierre, la petite maison de mes grands-parents, et au fond la volière. Lui élevait des pigeons. En août, cette cour était écrasée d’une chaleur dense, compacte, seulement occupée par le chant de ces pigeons. C’était cet âge où l’on commence à se sentir distinct, et donc à ressentir autour de soi le monde, les bêtes et les gens. Aujourd’hui, menace du virus et confinement nous invitent à « ça », éprouver ce lien dans son indissoluble et intemporelle élasticité, à frôler dans chaque jour ce que — il y a quelques semaines encore — l’on appelait le sacré. Quel nom aura-t-il demain ?

Mercredi 1er avril, 16e jour

Poésie : L’auberge rouge, de Cécile Coulon (extrait)

On traverse les forêts comme un tranchement de gorge :
nos voyageons, mon frère et moi, aux rives de la Lozère,
la voiture ronfle dans les virages qui effleurent les monts
d’Ardèche et à mesure que le ciel s’abat sur le goudron
fondu, la pierre, d’ordinaire sombre et lisse,
noire comme l’avenir, dense comme un muscle,
est remplacée par des hautes fermes aux murs clairs,
solides quoi qu’inégaux dans les larges ravins
où les voitures se retournent, tortues mécaniques
et stupides.

dans l’anthologie de 84 poètes contemporains « Nous, avec le poème comme seul courage » aux éditions Castor Astral, dans le cadre du Printemps des poètes — Article à venir

Jeudi 2 avril, 17e jour

Journal de confinement épidémie 2020

Vendredi 3 avril

La poignée dans le coin

Journal de confinement épidémie 2020
Qu’allons, qu’avons, qu’aurons-nous dégoté dans l’apparent capharnaüm de ce confinement ? Rose, l’héroïne du roman Femme à la mobylette, de Jean-Luc Seigle, disparu ce 3 mars, juste avant ce confinement, découvre sous le foutoir de ferrailles qui encombrait son jardin la monture qui va lui permettre d’échapper à son confinement de femme en fin de droits, abandonnée par un mari envolé vers une compagne plus mince, mère de trois enfants qu’il entend lui arracher.
« Les assistantes sociales vont revenir enquêter, comme elles l’ont fait toute l’année dernière, à cause du divorce en cours. Elle n’a toujours pas de travail. Pas d’argent. Aucun avenir. […] Le peu de choses qu’elle possède est là devant elle, dans cette décharge de ferrailleur à la place du jardin, toutes ces saloperies qu’Olivier [son ex mari] a rapportées et accumulées pendant des années. »

Un jour de sursaut, elle entreprend de débarrasser cette décharge de son jardin :
« Lits cassés
Ressorts,
Vieux pneus crevés,
Tôles en fer et en zinc,
Barres de fer,
Morceaux de poteaux électriques,
Traverses de chemin de fer goudronnées,
Trois cuvettes de WC neuves.
[…] Le jardin n’existe plus, mais quelque chose surgit à la place du jardin. Quelque chose qu’elle n’avait pas imaginer là, dont elle ignorait l’existence et qu’Olivier avait sûrement rapporté ici : une mobylette. Une grosse bleue des années 60, apparemment en bon état. »


Qu’allons-nous dégoter dans cet amas
de news,
fakes ou avérées,
de discours,
d’avis d’experts,
de souvenirs de l’ancien monde ?
Quel ancien véhicule bleu pour reprendre la route ? Une autre route, forcément. On fera comme si c’était la même. Comme si on étaient les mêmes. On mettra les gaz d’un coup sûr de poignet, la poignée dans le coin.

Samedi 4 avril, 19e jour — Ouverture des fleurs

Dimanche 5 avril, 20e jour

La civilisation techniquement la plus développée de l’histoire mise à genoux.

Journal de confinement, Gilles Bertin
Forza del filosofo

Un virus, forme primaire de vie, « a fait s’agenouiller la civilisation humaine techniquement la plus développée de l’histoire de la planète. […] C’est très libérateur : nous sommes enfin libérés de cette illusion de toute-puissance qui nous oblige à nous imaginer comme le début et la fin de tout événement planétaire. » écrit Emanuele Coccia, philosophe, dans une interview au Monde.

Dans ce papier, Coccia soulève quelques idées passionnantes pour l’être humain. Notamment une radicale remise en cause de l’écologie : « L’écologie n’est pas seulement romantique, elle reste une science profondément patriarcale […]. De fait, en continuant à penser que la Terre est la maison du vivant, et que toute espèce vivante a la même relation privilégiée à un territoire qu’un individu humain avec son appartement, non seulement nous nous efforçons d’assigner à domicile la totalité des espèces vivantes, mais nous projetons un modèle économique sur la nature. Écologie et économie marchandes sont […] deux jumelles siamoises qui partagent les mêmes concepts et le même cadre épistémologique, et il est naïf de penser que l’écologie, telle qu’elle est structurée aujourd’hui, pourra jamais combattre le capitalisme. »

Coccia pointe aussi l’oubli social du confinement : « C’est assez enfantin d’imaginer qu’on peut tenir des millions des vies assignées à domicile seulement à travers des menaces ou en répandant la peur de la mort. […] Inviter à coïncider avec son propre chez-soi signifie produire les conditions d’une future guerre civile. Elle risque d’exploser, d’ici à quelques semaines. »

Le Monde, interview d’Emanuele Coccia (éditions abonnés)

Lundi 6 avril, 21e jour

Elles ont cette lumière à l’intérieur. « Elles tiennent longtemps, cette année. » m’a dit G. tout à l’heure.

Mardi 7 avril, 4e semaine

Ni masques, ni gants, ni tests,
Trois semaines, vingt-et-un jours,
Ni gants, ni tests, ni masques,
Vingt-deuxième jour,
Ni tests, ni gants, ni masques,
Mais,
Pour oublier un instant l’incurie,
un bon roman.

22e jour et 4e semaine,
sans gants, ni masques, ni tests,
huit corolles, sans gants ni masques,
huit fleurs.
Lui, sans peur et sans reproche, s’appelait Pierre Terrail de Bayard
Aurait-il tenu tête à cette armée de fleurs comme aux Espagnols en 1504 au pont de Garigliano ?

Patrick deWitt, Heurs et malheurs du sous-majordome Minor

Faute de masque, plongeons notre nez dans un bon roman.

Un roman fort réjouissant de Patrick deWitt, l’auteur du fameux Les frères Sisters, adapté par Audiard. Un roman qui manie l’humour à la Italo Calvino et celui des frères Coen.

« Pourtant », titre de notre revue, apparaît à la 2e page.

« Lucy était chétif et pâle, il avait l’air presque souffreteux. Pourtant une certaine beauté émanait de lui — sa bouche était charnue, ses cils noirs et longs, ses yeux grands et bleus. Pour rien au monde il ne l’aurait avoué, mais secrètement il se trouvait charmant de façon obscure mais indéniable. »

Patrick deWitt, Heurs et malheurs du sous-majordome Minor.

Mercredi 8 avril

Journal de confinement Gilles Bertin

Jeudi 9 avril

Elles ne se referment plus, désormais tout le temps ouvertes, signe sans doute d’un premier pétale qui tombera bientôt. Mais, profitons de ce jour. De ce premier petit déjeuner sur le balcon, sous un soleil violent.

Vendredi 10 avril

La chute

Journal de confinement Gilles Bertin
À 9h, j’admire la lumière dans la tulipe de droite en prenant cette photo. Je ne le sais pas que plus tard dans la journée elles ne seront plus que 6. Une première fleur tombera discrètement — la plus éloignée au centre — sans nous alerter. Une autre s’ouvrira dans l’après-midi telle une corolle de radar, prélude à sa prochaine disparition. Sèment-elles des graines ?

Samedi 11 avril

Pourtant, en bas, dans la pelouse, un petit garçon avec un pantalon jaune saute, court et crie.

Journal de confinement pandémie 2020 - Gilles Bertin

Sans préméditation, nous avons regardé « Le hussard sur le toit« , hier soir. À la fin du film et du choléra, la jolie Binoche écrit au bel Angelo quelque chose comme, je cite de mémoire, « Rien n’est plus comme avant ici et pourtant tout semble comme avant, les gens se promènent dans les rues avec insouciance ». Film à gros budget et grands paysages, les cholériques sont montrés yeux révulsés, se tordant dans des convulsions cyanosées, Rappeneau épargne au spectateur les très fortes et incessantes diarrhées, « en haut de riz » nous dit Wikipedia, qui causent très rapidement la déshydratation menant à la mort. Film de cavalcades un tantinet ennuyeux.
« Avant »… Nous en avons conscience, presque tous, au moins beaucoup d’entre nous, avant ne sera plus après. Pourtant, l’économiste Piketti continue à préconiser un impôt plus juste, comme avant, et comme il devra encore le faire après, parce que pas grand chose n’aura changé… Je suis pessimiste ce vingt-sixième matin, pourtant en bas, dans la pelouse, un petit garçon avec un pantalon jaune saute, court et crie.

Dimanche 12 avril, Pâques

La communion

Tout, depuis 27 jours, est plus dense. Les souvenirs aussi, plus habités encore, et l’amour.

Orage à la fin de notre repas pascal (asperges avec sauce mousseline, entre autres), grondements et coup de vent, quelques gouttes bruyantes. Les repas de Pâques étaient importants pour ma grand-mère, puis ma mère. Elles étaient heureuses de nous réunir ce jour-là. Elles étaient profondément croyantes et cette fête avait pour elle un sens qu’aujourd’hui je peux seulement intuiter. Sans doute celui de la communion qu’elles débordaient dans cette longue table nappée, les belles assiettes et nos voix qui parlaient fort autour. Mais, je suis nostalgique et tout, depuis 27 jours, est plus dense. Les souvenirs aussi, plus habités encore, et l’amour.

Lundi 13 avril

Le rêve, aussi

C’est un des territoires qu’on a pour s’échapper, le rêve. Pourtant, dans la pelletée de musées virtuels, de cours en ligne, podcasts, téléséances de gym, personne n’en parle. Cette chronique est la première. Mais, lui aussi, semble confiné, ou confiner.

Journal de confinement Gilles Bertin
Trois fleurs ont disparu cette nuit. Il en reste deux, emmêlées par le vent.

Il reste une corbeille de pain que le garçon du restaurant n’a pas encore retirée. Des tranches de pain de campagne, si grosses qu’elles ont été coupées en deux. Il y en a une, en particulier, la croûte bien noire. Je la prends vite, on ne sait jamais, le garçon risque de revenir. Après, je me promène. J’ai le temps, le bus pour aller prendre mon avion est dans une heure ou deux. Tout à coup, il y a un afflux de gens. Ce doit être une manifestation. Des sortes de gilets jaunes, si cela peut encore exister, même s’ils ont dû disparaître dans les derniers lambeaux du passé, avec Jacques Calvet, mort avant-hier, l’empereur du diesel, le grand chef sochalien et bisontin de la particule fine. Il est presque 26, mon avion est à 26, je n’ai plus le temps, je l’ai déjà raté. Puis, 26 est passé. J’évite la foule et je vais à la gare. Mon père est là.

Mardi 14 avril

« Un incendie immense va venir », Henri Michaux

Fin totale des tulipes, du moins de leur partie fleurie, car le reste demeure, œil à la ET pointé au bout de sa tige.

Nous sommes beaucoup à avoir marqué le coup depuis hier soir, le coup de mou, devant ces 4 semaines… Nous le savions, pourtant. Mais entre l’idée de la chose et son entrée dans la réalité, il y a toute l’épaisseur de l’édredindon de l’inconscient, ça pagaie depuis, ça tristoune, jusqu’à ce tantôt.

Un premier coup de fil à Ambre, de Lyon Visite, guide historique et culturel, projet lancé en 2008, en panne de visiteurs à guider en ce moment, mais nous allons préparer de nouvelles visites : Résistance, roses…

Puis un autre coup de fil à Isabelle qui coordonne avec Christine et moi notre revue Pandémie 2020, vies humaines. Et, à ce propos, nous avons reçu une belle fleur de Florence White, l’une de nos auteures photographes du n°1 de la revue.

Pandémie. Pourtant, les fleurs.
Pandémie. Nous sommes confinés et inquiets. Pendant ce temps, ici, le printemps est insolent et la nature exulte. Par Florence White — voir la photo en grand

Pour finir cette chronique, un morceau prescient de Henri Michaux :

Ce n’est encore qu’un petit halo, personne ne le voit, mais lui, il sait que de là viendra l’incendie, un incendie immense va venir, et lui, en plein cœur de ça, il faudra qu’il se débrouille, qu’il continue à vivre comme auparavant (Comment ça va-t-il ? Ça va et vous-même?), ravagé par le feu consciencieux et dévorateur.

Sous le phare obsédant de la peur (page 54), Henri Michaux, in La nuit remue, Poésie/Gallimard

Mercredi 15 avril

Journal de confinement Gilles Bertin
Journal de confinement Gilles Bertin

Jeudi 16 avril

Le capitalisme (notre système économique) incapable de nous laver les mains

31e jour, la pharmacie du coin de la rue a du gel hydro-alcoolique, enfin ! 100ml par personne par jour. Sans flacon. Il faut venir avec son récipient. Je retourne à la maison chercher un flacon, une bouteille, un pot vide.

31 jours pour que le système économique que nous nous sommes choisis collectivement soit capable de fournir à chacun de nous 100ml de solution hydroalcoolique pour nous désinfecter les mains.

— Vous auriez d’autres articles de protection ?
— Non. Nous avons des masques, mais on nous interdit de les vendre. Ils sont réservés aux médecins. Et nous n’en avons pas assez pour eux.

Scandale. Scandale sans nom. Scandale d’un choix collectif qui abandonne littéralement les besoins vitaux de ceux qui l’ont choisi, nous, moi, à des acteurs qui n’en ont rien à cirer, qui n’ont aucune obligation à son égard, qui paient de moins en moins d’impôt. Santé, alimentation, éducation, transports collectifs, énergie ne doivent pas relever d’un système économique de type capitaliste.

Vendredi 17 avril

Il est six heures au clocher de l’église

Dans ma veste de soie rose
Je déambule morose
Le crépuscule est grandiose…mais

Peut-être un beau jour voudras-tu
Retrouver avec moi
Les paradis perdus

Musique Daniel Bevilacqua – Paroles : JM Jarre

(mettre le son)

Journal de confinement Gilles Bertin

Samedi 18 avril

Journal de confinement Gilles Bertin

Abyssale chute de visites sur Lyon visite, le guide touristique historique et culturel que j’ai créé en 2008. Nous sommes passés de presque 1000 visiteurs par jour à quelques dizaines ! 12 ans de travail remis en cause. Reverrons-nous les pages web de ce guide et les rues du Vieux Lyon grouillantes de gens ?

Dimanche 19 avril

Journal de confinement Gilles Bertin

Lundi 20 avril

déguerpir, déporter, dérouler, dérouter, décarboner, démonter, déchanter, désindustrialiser, déstocker, décroître, débander, détricoter, défriser, décolorer, dénicher, déchirer, désamianter,

dé : de l’ancien français, ‘séparation’, ‘éloignement
confiner : de confins ; du latin classique confinium, ‘frontière’.

déconfiner

Journal de confinement Gilles Bertin

Je découvre après coup, quelques heures après avoir publié ci-dessus cette déclinaison de “dé” , que ce préfixe est doublement présent dans le mot « décédé ».

Papa, mon père, nous a quitté voilà exactement 2 ans, la nuit du 20 avril 2018. Dire qu’il me manque est peu dire.

Mardi 21 avril

Bientôt, bien tard

Invité de France 2 ce matin, Olivier Véran a présenté des masques en tissu, lavables et réutilisables, produits en France par une centaine d’entreprises, et

« dont la distribution commencera bientôt »

Info France 2 (@infofrance2) April 21, 2020

Bientôt, bientôt, bientôt, comme répètent Macron, Véran, Philippe, nous aurons masques, tests, gel mains.

D’ailleurs, la preuve que bientôt…

20 flacons ! La pharmacie de mon quartier a reçu hier 20 flacons « Gel mains hydroalcoolique ». Cette pharmacie est au centre d’une ville de 80.000 habitants, limitrophe de Paris.

Bientôt, quand les poules auront des dents.

Bientôt, bientôt, bien tard.

Mercredi 22 avril

dessine des ailes

Cher Philippe,

Pas toi le premier ministre qui vole à vue, mais toi l’ami qui dessine des avions du côté de Toulouse, je regarde le ciel vide ce matin au-dessus de Paris. Le secteur aéronautique est dans une sale passe avec la fermeture des frontières. Tout à l’heure, il y a eu un bruit de moteur et, un instant, j’ai cru à un avion. Mais, c’était une tondeuse, tu sais ces avions sans ailes qui volent au ras des pâquerettes. Je vois ces ailes que tu dessines Philippe aux fuselages et les gens derrière les hublots comme dans un paquebot. Dessine-nous des hangars avec des ailes, et des ponts avec des ailes, et des salles de concert idem, des tremplins, sans oublier nos vélos et les tondeuses, qui en ont bien besoin.

Toutes mes pensées d’amitié, Philippe,

Gilles

Jeudi 23 avril

Les Kaméras de Kourbevoie

En allant approvisionner au surgelé du coin.

Halte photographique sous la caméra perchée tout en haut de ce pylône par Jacques Kossowski, maire du patelin. Au fond, la Défense. J’imagine l’édile, en costard cravate, grimpant à ce poteau avec le matériel de pose de sa caméra. Courbevoie en est truffé. Elles continuent sans doute d’enregistrer durant ce confinement. Quelque part, dans une société de surveillance, pieds croisés sur le pupitre, un vigile les mate peut-être du coin de l’œil, son masque ôté pendant à son cou.

Vendredi 24 avril

Le lieu d’une revue, en numérique comme en papier

Hier, le directeur du labo m’a relancé sur la valorisation de nos contrats de recherche sur notre site. Depuis des années, nous l’évoquons lors des réunions de labo, ceci comme une bonne idée, mais sans jamais le faire. Je rédige les fiches de deux de ces contrats de recherche que je connais très bien, l’un sur lequel je travaille depuis 8 ans maintenant, e-ReColNat, avec notamment le Muséum national d’histoire naturelle, et l’autre, OPAHH, avec la BnF et les Archives Nationales, dans le cadre d’un groupement de labos en sciences humaines et sociales au nom littéraire, Les passés dans le présent.

Valoriser les projets que l’on mène ou auxquels on participe, c’est relier. Les réseaux sociaux ne savent pas faire cette valorisation, ils sont des flux, des fluides. Pour cela, il faut un endroit, une place, un lieu. En l’occurrence, un site.

Pourtant est une revue et un site. Un lieu, en fait. Une revue est un lieu. Un lieu de rencontre et de rencontres. C’est au cœur de ce qui se passe aujourd’hui, dans cette période où l’on ne peut se rencontrer physiquement, seulement par le web.

Nous avons lancé l’idée de ce numéro en ligne dimanche 15 mars, comme nous le racontons dans son édito. Il nous paraissait tout aussi impossible d’arrêter la préparation de notre numéro 1 en papier que de la poursuivre sans prendre note sensible de ce qui se passait, pour garder trace. Il est particulièrement étrange de travailler simultanément sur les deux numéros, l’un en papier pour juin ou septembre, l’autre qui prend forme chaque jour ici, avec les mêmes auteurs, et des interactions quotidiennes entre nous.

Chaque jour arrive un billet de Sarcignan pour son Foyer de contagion, un poème de Valérie Souchon, qu’elle publie elle-même dans ses Confinements (merci Valérie), un fantasme de Sophie Bernier dans ses péchés de confinement, une somptueuse fleur de Florence White, l’effleurement chorégraphique de l’écriture de Thomas Pietrois-Chabassier, un poème tendre et humoristique d’Ève Roland. Il est arrivé aujourd’hui deux nouveaux textes, plutôt témoignages, de Souhila, aveugle dans les rues d’une ville, et de Christine, co-animatrice de ce numéro, qui forme en ce moment à l’hôpital des floppées de soignants. Autant de rencontres. D’ailleurs, Guillaume, un lecteur, nous a écrit en commentaire, « Intériorité qui devient partage ».

Quelqu’un me demandait voici peu la différence entre un magazine et une revue, voici en mots ce qu’est une revue : lieu, lecteurs, auteurs, relier, intériorité, partage. En numérique comme en papier.

Samedi 25 avril

Après la bataille

Quarantaine… carotter… carambolage… « Caramba ! »

Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : « Caramba ! »

Victor Hugo, Après la bataille

Nous ne sommes pas encore, si nous reprenons la métaphore guerrière à Macron, après la bataille.

Journal de confinement Gilles Bertin

Dimanche 26 avril

L’oiseau

Un oiseau

Il est plus tôt que d’habitude, vers 6h, le soleil se lève là-bas, de l’autre côté de Paris, loin, en direction de le Chine, d’où est venu ce virus.

Pour la première fois depuis le début de ce confinement, alors qu’ils sont pourtant nombreux dans les arbres du mini parc de cette résidence, je réussis au moment de ma photo quotidienne à en saisir un au vol.

Lundi 27 avril

Sortons la revue papier fin juin ! Durant la nuit, cela m’a paru évident. Hier dimanche, nous avons longuement discut » de la mise en place des abonnements. De la question de leur prix, évidemment. Et de qui parmi nous va se charger de la tâche d’envoyer les numéros, en attendant de pouvoir sous-traiter à un entreprise lorsque nous aurons des milliers d’abonnés.

En début de soirée, lors de notre réunion téléphonique, nous discutons de ce lancement fin juin… et nous sommes tous d’accord, avec enthousiasme, pour ne pas attendre septembre. D’avoir maintenant à nouveau cet objectif nous remplit d’énergie.

Mardi 28 avril

chaque matin

« Chaque matin », a dit le Bouddha, « nous renaissons à nouveau. » Ce qui sous entend que le sommeil est une mort. Se laisser à lui, chaque soir, est, comme l’a souligné ma compagne ce matin à son propre réveil, longtemps après le mien, vers 4h30, consentir à s’abandonner à la mort. Cette succession de jours tous pareils, 43 maintenant, a rendu ce cycle de petites morts et renaissances, plus prégnant, plus insistant encore qu’en temps habituel, même de métro boulot dodo. « Ce que nous faisons aujourd’hui », ajoute le Bouddha, « est ce qui importe le plus. »

Je vais photographier par la fenêtre cette renaissance, couleur zinc ce matin. Il fait gris, mais les odeurs sont magnifiées par la grâce de la pluie cette nuit. Il y a une entourloupe, comme dans toute évidence nichée au creux d’une sagesse, ou au moins un double sens, dans ce “ce qui importe le plus”. J’examine cette photo, ci-dessus, que je viens de télécharger dans ce billet quotidien, à la recherche de ce qu’elle contient qui importe aujourd’hui, 28 avril, 43e jour de confinement “à résidence”. Elle est différente des 42 précédentes, dont tout un tas, ensoleillées, me semblaient pareilles les unes aux autres.

Depuis plus de 6 mois, j’envisage, sans le faire, de relater dans un billet de mon blog Lignes de vie ma sortie de la dépression sévère qui m’est dégringolée dessus fin 2018, après la rupture douloureuse imposée par ma compagne au moment précis du décès de ma mère. Chaque matin a alors été un combat, des mois durant. Se forcer à se lever pour une douche, déjeuner, avant de se recoucher jusqu’à l’après-midi. Des amis m’envoyaient des messages pour me booster. Merci à vous, particulièrement Laurence et Laurent.

Mercredi 29 avril

Seule, bien tranquille

Espoir pour le photographe derrière cette fenêtre, « Il reste », selon la propriétaire des lieux, ce matin, « deux oignons en terre qui pourraient donner quelque chose. »

Il y a du confort à ne plus avoir à encaisser, subir, digérer les remous des interactions sociales avec “les autres”. Seule ou seul, bien tranquille. À ne plus avoir à prendre de risques. Ni à risquer des refus ou des rebuffades. Ne plus avoir à demander, proposer, suggérer, ne pas être d’accord. Il y a dans ce confinement un confort, une tranquillité oubliée depuis les dernières vacances, voire ses vacances d’enfance, quand les jours coulaient sans arbre mort sur leurs eaux. Quel ennui et quelle paix, n’est-ce pas. Le « dé »confinement approche, il va falloir à nouveau rencontrer les autres en vrai, risquer et prendre des risques.

Jeudi 30 avril

Vendredi 1er mai

Samedi 2 mai

Il est 6h et demi.

Dimanche 3 mai

Après la mort

Un oiseau s’envole.

Tu penses à la mort, toi ? Elle est là, avec sa gueule de vieille fouine, qui guette notre sang. Ce matin, elle était sur la couette, ses yeux brillaient dans la pénombre. Les milliards d’humains menacés par le virus étaient réunis. La vie allait couler de nouveau dans leurs veines, ils vont se jeter dans les rues, différents. Ce sera comme après un choc, quand ta vie a été bouleversée, que tu revis, tu n’es plus pareil et tu es encore le même, tu as changé et tu ne sais dire comment. Idir est mort hier, ses chants à jamais dans tes veines. A Vava Inouva.

Lundi 4 mai

7 semaines, 7 fois 7 jours avec, peut-être, l’apparition d’une certaine “essence”. Est-elle le principe d’un commencement ? Ou d’une soumission ?

Plus souvent qu’avant, ces temps-ci de confinence, nous avons de ces fulgurances où l’essentiel apparaît, net, tranché, simple. Une ligne dans notre vie, le tracé de l’amour laissé par un être cher dans la naissance, dans l’enfance, l’adolescence, l’adultance, la sénescence. Un cercle, un disque, un rond, la Lune, le Soleil, la Terre, l’Univers, le ventre mère. Depuis deux jours, les photographies de Sarcignan dans sa chronique Foyer de contagion m’avaient frappé par leur convergence, leur unicité, comme si mon voisin de chronique dans ce numéro Pandémie de Pourtant voyait ou recherchait à travers ses photos un monde débarrassé de ses fanfreluches, de son bavardage, comme s’il allait à une certaine essence. C’est que ces derniers jours je l’avais ressenti dans ces moments ou à la faveur d’une émotion puissante l’âme apparaît, magnifique, dressée telle la statue de la Liberté à l’entrée du Nouveau monde. Et ces moments sont nombreux durant cette pandémie. Des émotions fortes et précises comme le dessin d’un Michel-Ange. L’amour, la peur, la colère, le désir, le beau, le mal, le bien, le corps. On ne sait plus si ce sont des émotions, des sentiments, ou des idées, des pensées. Dans ce monde de simplicité où nos sentiments, où ce qui compte d’essentiel se dégage de la gangue des news, des médias, des conseils des experts, des séries, des réseaux sociaux, de tout ce bruit incessant, lassant, dans ce silence retrouvé dès le début de cette confinedanse, dans ce silence évoqué ici au 8e jour cette chronique, dans ce monde étourdissant de peurs et de possibilités, nous voici attiré par les idées simples, celle d’un monde nouveau, où tous les humains seraient frères

Mais quand les homm's vivront d'amour
Qu'il n'y aura plus de misère,
Peut-être song'ront-ils un jour
A nous qui serons morts, mon frère
Nous qui aurons, aux mauvais jours
Dans la haine et puis dans la guerre
Cherché la paix, cherché l'amour
Qu'ils connaîtront, alors, mon frère

(Paroles : Raymond Levesque)

D’ailleurs, le Président lui-même évoquait la guerre. Idée simple s’il en est. Et qui appelle un sauveur, un homme providentiel, un Pétain ou un de Gaulle, ou bien une guerrière vierge, Jeanne d’Arc ou Greta Thunberg. Une Greta car à la peur nucléaire avait succédé la peur climatique. Et voici maintenant la peur sanitaire, le temps de quelques nouvelles idées simples derrière quelques mots nouveaux : masque, distance sociale. Tout semble simple, oui, il suffit d’ouvrir le robinet de nos smartphones et de nos télés. Les idées simples sont là. En nombre. Les voix, nombreuses. Beaucoup de choses sur la table. On en frissonne d’enthousiasme. Parmi elles, avant de revenir sur ce sujet demain, à travers d’autres oppositions en apparence, voici celle d’un homme très écouté ces temps-ci.

L’après-épidémie sera une aventure incertaine où se développeront les forces du pire et celles du meilleur, ces dernières étant encore faibles et dispersées. Sachons enfin que le pire n’est pas sûr, que l’improbable peut advenir, et que, dans le titanesque et inextinguible combat entre les ennemis inséparables que sont Éros et Thanatos, il est sain et tonique de prendre le parti d’Éros.

Edgar Morin, interview dans Le Monde, 19 avril 2020

Mardi 5 mai

Mercredi 6 mai


Jeudi 7 mai

Vendredi 8 mai

Journal de confinement Gilles Bertin

Samedi 9 mai

Journal de confinement Gilles Bertin

Dimanche 10 mai

Journal de confinement Gilles Bertin

Lundi 11 mai

Fin et début

Journal de confinement Gilles Bertin
Nous pouvons sortir.

Mais, pour ce premier jour après ces 55 jours clos, la tempête souffle.

Ce fut un temps à part, un temps paradoxalement sans beaucoup d’angoisses, un temps régressif pour les confinés confortablement, un temps sans décision. Revient le temps de choisir.


Pandémie 2020, vies humaines
revue en ligne

par nos auteurs, photographes et nos invités

9 réponses sur « À résidence »

Les tulipes, encore fermées à l’annonce du confinement, indifférentes aux maux des humains, s’ouvrent, se redressent, rougissent jour après jour, sur un fond de verdure, de pierres et de briques. Seul le vent les perturbent sous nos yeux inquiets, rivés aux fenêtres. Et si nous nous faisions tulipes rouges, or, vermillon, soleil ?

Entre l’éclat du ciel, la chute des paradis perdus et l’ascension ondulantes des tulipes qui éclatent puis qui chutent à leur tour, votre journal, zébré de temps à autres de colères salutaires, est d’une pure mélancolie. Bravo, Gilles !

Oh! Je viens de lire, avec quelque jours de retard, que la revue papier sortirait possiblement fin juin ? Je m’en doutais, que ces fleurs nous révèleraient quelque secret formidable !

J’ai beaucoup aimé te lire au quotidien. On voit beaucoup de grandes choses à travers une fenêtre… Ça me rappelle ce propos de Baudelaire (à propos du Sonnet): « Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ».
Amicalement, merci, vraiment.

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