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par Virginie Moiré
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« Tu ne vas pas rester ici toute seule ! Câest suicidaire !
â Je ne serai pas seule, on est encore quelques centaines Ă rester. Et il faut un minimum de personnes pour faire marcher la boutique, je te signaleâŠ
â Tu parles dâune compagnie ⊠Des nonagĂ©naires, des malades incurables ! Tu es folle. Et si on ne revenait jamais, tu y as pensĂ© ?
â Qui aura envie de rester plus de deux ans sur la Lune ? Elle va vite vous manquer la Terre, mĂȘme avec ses virus et vous serez bien contents au retour de trouver la maison en ordre !
â Tu as conscience quâen restant, tu mets un point final Ă notre histoire ? »
Une bĂątisse hideuse au cĆur dâune ville qui tout dâun coup se retrouve vide de ses trois cents occupants journaliers. Tout comme la ville elleâmĂȘme, tout comme le pays et la plupart des pays du monde. Covid 23 â 2030.
Un choix cornĂ©lien a Ă©tĂ© soumis aux habitants de la Terre : partir sur la Lune exempte de virus â ou rester et se dĂ©brouiller.
Elle a choisi de rester malgrĂ© le chantage affectif de Paul, malgrĂ© lâincertitude sur ses propres ressources intĂ©rieures. Câest ainsi que la mission de garder lâimmeuble de bureaux oĂč elle officiait et de veiller le mieux possible sur les autres lui a Ă©tĂ© confiĂ©e. LâĂ©lectricitĂ©, lâeau, le chauffage, la climatisation, internet seraient maintenus jusquâĂ nouvel ordre, lui aâtâon certifiĂ©.
Elle a reçu une rapide formation pour rĂ©parer les pannes les plus simples et pour le reste, un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone est censĂ© la relier Ă un centre dâintervention. Elle a bien essayĂ© de les joindre une ou deux fois, mais la personne au bout du fil parlait une langue asiatique et il nây a pas vraiment eu dâĂ©change. Si, quand mĂȘme, des inflexions de voix qui laissaient entendre quâon Ă©tait bien dĂ©solĂ© pour elle. Elle se dit parfois quâelle rappellera, ne seraitâce que pour entendre Ă nouveau une voix.
Tout se passe bien. Sa ronde quotidienne, les rapports clairs et concis quâelle produit mĂ©thodiquement, les plantes dont elle sâoccupe avec soin et les appels satellitaires avec la Lune. Plus de nouvelles de Paul. Il a mis sa menace Ă exĂ©cution. Cela lui ressemble.
Lâimmeuble de cinq Ă©tages construit dans les annĂ©es 80, malgrĂ© ses traits disgracieux, dispose de quelques avantages : de larges baies vitrĂ©es et des balcons filaires donnent sur la place centrale de la ville, et plus loin sur le fleuve et le parc. Elle aime y passer des heures, laissant la rĂȘverie lâenvahir, ou bien elle reste lĂ , attentive aux moindres mouvements. Des animaux sâaventurent de plus en plus par ici, Ă la recherche de nourriture sans doute. Un jour, elle a vu un renard prĂšs de lâopĂ©ra, figĂ© dans lâĂ©coute et lâattente. Il Ă©tait grand, trĂšs Ă©lancĂ©, les oreilles dressĂ©es. Depuis, elle lâa souvent guettĂ© en vain.
Elle rentre chez elle quand elle veut, Ă quelques centaines de mĂštres de lĂ . Petit Ă petit, se promener dans les rues dĂ©sertes devient pĂ©nible, presque angoissant. Les rares habitants dâailleurs sâĂ©vitent Ă cause du virus bien sĂ»r, mais aussi parce que la solitude est devenue comme une seconde peau. Toute rencontre menace de bouleverser un Ă©quilibre mental prĂ©servĂ© par la routine et les propres certitudes de chacun.
Lâimmeuble lui suffit de plus en plus. Elle rentre de moins en moins chez elle.
Ce sont les plantes.
Bien Ă©videmment, ce nâest pas de veiller sur lâimmeuble qui lui importe, au contraire dâailleurs, puisquâelle dĂ©teste ses lignes sombres et sans charme. Sa silhouette pataude jure Ă lâangle dâune place aĂ©rĂ©e oĂč trĂŽnent lâopĂ©ra et lâhĂŽtel de ville. Aujourdâhui, elle ne le voit plus, passant le plus clair de son temps dans ses entrailles.
Non, ce sont les plantes qui la retiennent.
Les voyages lunaires nâont permis dâemporter que vingt kilos de bagages inertes par personne pour ne pas nuire aux fragiles Ă©quilibres Ă©chafaudĂ©s dans les habitacles, serres et entrepĂŽts de la station. Les jardiniers peuvent cependant y exercer leurs talents pour Ă©lever les plantes nourriciĂšres dans les serres Ă©troitement surveillĂ©es mais, apporter des plants depuis la Terre a Ă©tĂ© formellement interdit pour prĂ©venir toute propagation du virus.
Elle a donc prĂ©fĂ©rĂ© se consacrer Ă toutes les plantes ornementales laissĂ©es dans les bureaux et condamnĂ©es Ă mourir. De toute façon, lâabsence des collĂšgues ne doit durer quâune annĂ©e, deux au plus. Dâici lĂ , les plantes seront bichonnĂ©es, elle lâa promis.
Ce choix a semblĂ© incongru Ă tous ses proches. Payer si chĂšrement de solitude le soin Ă apporter Ă des plantes de bureau, somme toute assez communes âŠ
LâidĂ©e de suivre tous les autres sur la Lune ne lâavait pas du tout enchantĂ©e, malgrĂ© les tonitruantes campagnes incitatives pour quitter le plancher des vaches. Elle avait donc candidatĂ© au poste de capitaine immobilier et en tant quâunique candidate, nâavait eu aucun mal Ă convaincre les recruteurs. Oui, elle avait lâesprit pratique, non, elle ne craignait pas la solitude. FĂ©licitations, voici le trousseau de clĂ©s, bonne chance, Ă bientĂŽt. Cela avait Ă©tĂ© un peu expĂ©ditif comme recrutement, mais tout le monde Ă©tait tellement pressĂ© de partirâŠ
Ăvidemment, le virus continue Ă faire des ravages. La population humaine est dĂ©sormais presque entiĂšrement dĂ©cimĂ©e. Sans parler du rĂ©chauffement climatique qui sâest emballĂ©. Lâaubaine de partir vivre sur la Lune a fini par enlever tout esprit critique de la tĂȘte des gens, Ă©puisĂ©s par une dĂ©cennie de confinement et de peur.
Elle a traversé tout ceci avec détachement, bien heureuse au fond de constater que tout tourne au ralenti, que seuls les besoins primordiaux sont dorénavant satisfaits et que le silence rÚgne désormais en maßtre sur la ville.
AprĂšs trois jours de grand soleil derriĂšre les baies vitrĂ©es, les impatiences sont flĂ©tries. Il lui faut une journĂ©e dâarrosage pour les remettre Ă flot. GorgĂ©es dâeau, les corolles des fleurs roses sont comme des bonbons brillants dans toute cette verdure.
Les plantes, depuis quelques semaines, ont un comportement Ă©trange. Un comportement ? Elle se morigĂšne. Les plantes nâont pas de comportementâŠ
Il nâempĂȘche. Lors de ces trois jours de nĂ©gligence, immergĂ©e dans son roman, elle a ressenti Ă plusieurs reprises comme un murmure dĂ©sapprobateur. Un bruissement impatient. Evidemment, elle a mis cela sur le compte de sa mauvaise conscience jusquâĂ ce que lâenvie de se dĂ©gourdir les jambes la rappelle Ă ses tĂąches horticoles.
Les soins prodigués déclenchent alors une formidable poussée de croissance chez les plantes.
Elle ne va que rarement du cĂŽtĂ© des façades sud oĂč elle a rĂ©uni les cactus. Les moins prĂ©fĂ©rĂ©es des plantes dont elle a la charge. Quasiment immobiles, revĂȘches et difficiles Ă manier, elle nây a jetĂ© jusquâĂ prĂ©sent quâun regard en passant. Dâailleurs, une feuille de papier comporte encore cette inscription en partie effacĂ©e : Ne vous occupez pas des cactus ! Ne pas arroser.
Elle sây conforme le plus souvent possible.
PoussĂ©e par la curiositĂ© suite Ă lâĂ©pisode des impatiences, elle sâest cependant approchĂ©e de lâaile sud. Un pressentiment, sans doute⊠De grands bras hĂ©rissĂ©s de piquants sortent par les portes entrouvertes, menaçant de la griffer si elle poursuit son expĂ©dition. Perplexe, elle rebrousse chemin.
Elle a alors le besoin impĂ©rieux de se prĂ©cipiter dans les Ă©tages infĂ©rieurs. Les fougĂšres et lierres plongĂ©s dans la pĂ©nombre nâont pas changĂ© dâaspect. RassurĂ©e, elle regagne le dernier Ă©tage baignĂ© de lumiĂšre.
Le lendemain, absorbĂ©e par la contemplation de la ville, son regard est attirĂ© par le pied des arbres cerclĂ©s de fer. Le bitume sâest Ă©trangement soulevĂ© et craquelĂ© autour de la dizaine de micocouliers qui ombragent la place. Dâailleurs, ils semblent avoir pris de lâampleur. Elle prend quelques photos, une idĂ©e derriĂšre la tĂȘte.
Sa balade confirme ses soupçons. Partout, la vĂ©gĂ©tation explose. Les massifs de fleurs et les plantes des jardiniĂšres municipales se rĂ©pandent sur la chaussĂ©e, colonisant le moindre interstice dans lâasphalte.
Les arbres ont doublĂ© de volume depuis sa derniĂšre promenade, quelques semaines auparavant, certains escaliers sont dĂ©jĂ presque enfouis sous la Grande ChĂ©lidoine. Câest fĂ©Ă©rique ! Le rĂȘve devenu vrai de tout environnementaliste.
Lâair bourdonne dâinsectes et les oiseaux volĂštent de toute part, des merles, des mĂ©sanges, des rougesâqueues, des rougesâgorges, des pinsons⊠Que sâestâil passĂ© ces derniĂšres semaines ?
Le soir venu, elle dĂ©cide de ne pas mentionner ses Ă©tranges dĂ©couvertes dans sa chronique quotidienne au poste de commandement central de la Lune. Elle craint vaguement de dĂ©clencher des mesures drastiques dâĂ©limination de la vĂ©gĂ©tation et par ailleurs, ce phĂ©nomĂšne si soudain sera de toute façon mis en cause. Elle nâa nulle envie de se perdre en conjectures sur ce quâelle ne comprend pas. Elle dĂ©cide de prendre des photos Ă une semaine dâintervalle pendant quelques temps et dâaviser.
Les cactus commencent Ă poser problĂšme. Ils envahissent maintenant tout le couloir, rendant infranchissable cette partie du bĂątiment. Les impatiences, bĂ©gonias, misĂšres, papyrus, plantes grasses se rĂ©pandent dĂ©sormais sur les bureaux, enveloppant ordinateurs et dossiers. Dans les Ă©tages infĂ©rieurs, lierres et fougĂšres prennent le mĂȘme chemin transformant le bĂątiment en gigantesque serre.
Elle ne sait plus quoi faire.
Se dĂ©barrasser des plantes lui semble impossible. Elle a bien essayĂ© dâĂ©laguer certaines impatiences. Elles repoussent de plus belle et les tiges coupĂ©es bouturent sur le tas de compost. Le composteur est plein, ses parois de plastique menacent Ă tout instant de cĂ©der.
Plus rien nâest sous contrĂŽle, ni Ă lâintĂ©rieur, ni Ă lâextĂ©rieur. Les arbres Ă©ventrent les chaussĂ©es, le bitume est recouvert par lâherbe, les liserons et la vigne vierge ont colonisĂ© les fils Ă©lectriques des tramways⊠Elle ne sait plus oĂč donner de la tĂȘte, partagĂ©e entre lâenchantement de cette dĂ©mesure et lâinquiĂ©tude de lâavenir.
Trois semaines plus tard, elle rĂ©dige une chronique : la ville envahie par la vĂ©gĂ©tation est devenue un refuge de biodiversitĂ©. Cependant, il est Ă craindre des dommages collatĂ©raux pour lâĂ©tat des infrastructures, rĂ©seaux, bĂątiments euxâmĂȘmes. Quelles sont les consignes ?
La rĂ©ponse se fait attendre une dizaine de jours. On lui demande alors de contacter le MusĂ©um national dâhistoire naturelle et de se renseigner sur lâĂ©tat des autres villes.
Le MusĂ©um est enthousiaste : Il sâagit dâune chance inouĂŻe pour la biodiversitĂ© et les autres villes, pour les rares contacts quâelle a pu Ă©tablir, sont dans le mĂȘme Ă©tat quâici. Elle signale en outre que les racines des arbres perturbent dĂ©sormais les canalisations dâeau, de gaz et quâĂ plusieurs endroits, ces derniĂšres ont cĂ©dĂ©. Lâeau noie certaines artĂšres et quelques explosions de gaz ont eu lieu. Elle craint des incendies.
LĂ encore, il lui faut attendre plus dâune semaine pour recevoir cette rĂ©ponse : « Impossible de vous aider. Tous les moyens sont concentrĂ©s contre les arbres pour sĂ©curiser les centrales nuclĂ©aires et installations de dĂ©fense. Sauvez ce qui est possible de lâĂȘtre. »
Sympas, les collĂšgues sur la Lune !
Sauvez ce qui est possible de lâĂȘtre !
Quâentendentâils parâlĂ ? Cette question estâelle laissĂ©e Ă son libre arbitre ?
Que sauveâtâon lorsque sa propre civilisation est menacĂ©e ?
La rĂ©ponse sâimpose facilement. La mĂ©moire et les arts. Les archives et les collections des musĂ©es.
Lâhistoire des vitraux de lâĂ©glise Saint Vincent de Rouen, enlevĂ©s de leur armature de pierre et de plomb lui revient Ă lâesprit : mis Ă lâabri au dĂ©but de la guerre, ils ont pu Ă©chapper aux bombardements de lâĂ©glise et de la ville en 1944.
Elle renvoie un message, exigeant une rĂ©ponse rapide : « Puisâje disposer des robots et si oui, pour combien de temps ? »
Enfin, on lui vient en aide : « Oui pour 50% des effectifs. Vous avez deux semaines. »
Elle dispose donc de 1000 robots qui lâaideront Ă enfouir le plus possible dâĆuvres et de piĂšces dâarchives. Lâendroit le plus sĂ»r, ce sont les souterrains construits par les Romains. Ils ont rĂ©sistĂ© plus de deux millĂ©naires, câest plutĂŽt bon signe ! Il nây a plus quâĂ faire confectionner dâinnombrables caisses et les faire transporter sous les collines de la ville. Solliciter les derniers habitants ne lâeffleure pas. Les quelques centaines de citoyens qui restent se terrent depuis trop longtemps pour avoir conservĂ© un quelconque sentiment de bien commun. Lâimmense majoritĂ© est ĂągĂ©e ou malade, dĂ©faitiste trĂšs certainement aussi.
Elle part en reconnaissance visiter le bĂątiment des archives.
La vĂ©gĂ©tation est encore plus exubĂ©rante que dans le centre. Les branches ont brisĂ© la façade de verre de lâĂ©difice et les racines sâinsinuent dĂ©jĂ dans la bĂątisse. Les robots sentinelles sont bien Ă leur poste quoique complĂštement prostrĂ©s : programmĂ©s pour lutter contre les infractions, leur logiciel est perplexe devant les assauts chlorophylliens.
Les archives comportent sept kilomĂštres de rayonnages. Combien de caisses vaâtâil falloir ? Elle remet ce calcul Ă plus tardâŠ
Ressortir du bĂątiment sâavĂšre difficile. Les racines ont obstruĂ© lâentrĂ©e, les branches se dĂ©ploient dans les Ă©tages, le lierre et la vigne vierge se sont mis Ă former des Ă©cheveaux inextricables dans les couloirs quâelle essaie dâemprunter. Il lui faut deux heures Ă©puisantes pour sortir.
Le musĂ©e des BeauxâArts sâavĂšre encore plus infranchissable, malgrĂ© une brĂšche dans la façade ouest provoquĂ©e par une explosion de gaz. Le grand escalier de pierre nâest plus quâune forĂȘt et les salles, des clairiĂšres de plus en plus menacĂ©es par la vĂ©gĂ©tation.
Sur un coup de tĂȘte, elle dĂ©croche Temps gris marais de la Burbanche dâAdolphe Appian. Il glisse sans mal entre ses mains, confirmant ses craintes : les systĂšmes de sĂ©curitĂ© sont devenus inopĂ©rants. Portant le prĂ©cieux tableau contre elle, elle rejoint ses bureaux.
Sauver les archives et les Ćuvres de la douzaine de musĂ©es de la ville lui paraĂźt maintenant illusoire. La forĂȘt prend place dans toute la ville. MĂȘme des robots dâairain nâen viendraient pas Ă bout. Dâailleurs, cela aâtâil encore un sens ?
Sa note ce soirâlĂ au poste de commandement est laconique : « Les musĂ©es et les archives sont dĂ©jĂ ensevelis sous la vĂ©gĂ©tation. Il faut nĂ©gocier. »
Sortir est devenu quasi impossible.
Elle se demande si les robots arrivent encore Ă livrer les repas aux habitants de la ville.
Elle a assez de rĂ©serves pour tenir longtemps, surtout avec le potager quâelle a amĂ©nagĂ© dans la cour intĂ©rieure. Les fruits et les lĂ©gumes poussent Ă une vitesse incroyable⊠Les congĂ©lateurs et les frigos de tous les Ă©tages sont pleins, mais elle attend toujours un signe de la Lune.
Pendant ce temps, les bureaux se transforment en serres tropicales. Les objets personnels des employĂ©s sont menacĂ©s. Cela lâattriste de voir disparaĂźtre tous les tĂ©moignages intimes de ces vies : les dessins dâenfants accrochĂ©s aux murs, les photos de famille sur les bureaux, les cartes postales des collĂšgues punaisĂ©es dans les cuisines, autant de traces qui montrent que tous se sont imaginĂ©s revenir bientĂŽt. Avec ce qui arrive, elle nâest plus sĂ»re de rien. Pour la premiĂšre fois, elle est inquiĂšte.
Elle rĂ©unit tous ces souvenirs pour les mettre Ă lâabri. Elle les enfouit dans des boĂźtes portant les noms des personnes, ce qui assurera, elle lâespĂšre, la pĂ©rennitĂ© de ces restes dâhumanitĂ©. Ceci lui prend plusieurs semaines pendant lesquelles elle ne cesse de penser Ă ces villes mayas ensevelies sous la vĂ©gĂ©tation et que lâon a retrouvĂ©es des centaines dâannĂ©es plus tard. Quelle a Ă©tĂ© lâhistoire des derniers habitants de ces citĂ©s ? Estâce le sort qui lâattend ?
Enfin, la réponse de la Lune tombe : « Négociez. Rendez compte. »
Elle a entendu parler de cette communication entre les arbres. Elle sait aussi quâun certain nombre de peuples premiers ont maintenu ce contact avec les forĂȘts.
Seuls ces hommes et ces femmes peuvent dĂ©sormais sauver lâhumanitĂ© sur Terre. Tous ces peuples ont refusĂ© de partir sur la Lune. Pour eux, il faut soigner la Terre plutĂŽt que la fuir ; il ne sert Ă rien de coloniser une autre planĂšte : les mĂȘmes problĂšmes ressurgiront puisque les hommes modernes refusent dâĂȘtre sages.
La condescendance a accueilli leurs positions, et depuis les hommes modernes sont partis.
Elle prend contact avec le musĂ©e des Arts Premiers oĂč quelques anthropologues travaillent encore. Accepteraientâils de se rapprocher par exemple des Yanomamis dans la forĂȘt amazonienne ?
Les Yanomamis puis les autres peuples autochtones ou ce quâil en reste sont restĂ©s intraitables : hors de question de dĂ©livrer le moindre message aux arbres pour tenter de nĂ©gocier. La forĂȘt reprend ses droits et eux aussi : fin de nonârecevoir.
La menace dâexplosions nuclĂ©aires nây fait rien, pas plus que lâultimatum de dĂ©verser des tonnes de napalm sur ces forĂȘts rebelles. Au contraire, une fois de plus, lâimbĂ©cilitĂ© des Modernes Ă©clate au grand jour. Leur impuissance aussi.
FatiguĂ©e de jouer une partie quâelle dĂ©teste, elle met fin Ă son rĂŽle dâintermĂ©diaire.
Elle sâenfonce dans la forĂȘt urbaine ne prenant avec elle que le tableau Temps gris marais de la Burbanche.
Il nây aura plus de relations entre Terre et Lune.
Virginie Moiré
Pandémie 2020, vies humaines
revue en ligne
par nos auteurs, photographes et nos invités
2 réponses sur « Temps gris marais de la Burbanche »
Bravo !
Merci Xavier ! Isabelle