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/ Numéro hors-série "Pandémie, vies humaines" Le temps du confinement

Lettre à Cosimo

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par Marie-France Lesage

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Cosimo, tu as vingt mois et quand tu en auras soixante comme moi, tu ne te souviendras plus du scénario de science-fiction dans lequel nous venons d’entrer.

À cet âge, tu auras la nostalgie de tes racines et certainement l’envie de me lire.

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Vendredi 13 mars 2020 Le coup de semonce vient de retentir. Nous serons confinés à la maison à partir de minuit. Les écoles, restaurants, cafés et discothèques doivent fermer jusqu’au 3 avril. Incrédules et pour marquer le coup, nous sommes encore aller manger au restaurant avec Émilie et Olivier.
Je possède une maison d’hôtes en Ardenne, au bord de la rivière Aisne, les hôtes du W.E. se sont désistés et les annulations arrivent en cascade pour les prochains jours.

Dimanche 15 mars Tu es chez nous, à la campagne, avec tes cousins, pendant que ta maman repeint la cage d’escalier. Le soir, vos parents sont venus vous chercher. Olivier aurait préféré s’abstenir. C’est la dernière fois que l’on vous voit avant longtemps. Ce matin, Mamy Jo, nonante ans, a encore été sur le marché alors que je lui avais recommandé de ne pas le faire car le coronavirus attaquerait de préférence les personnes âgées.

Lundi 16 mars Géraldine, ta maman, Visual manager chez H&M, a été travailler comme d’habitude. Très peu de clients, des retraités et des adolescentes en goguette. Manuel, ton papa, professeur déjà écarté, a préféré ne pas te mettre à la crèche. Nous te gardions chaque mardi, ton absence, demain et les autres semaines va nous peser.
Sentant les mesures de confinement se durcir, Didier court dans les magasins pour faire du stock alimentaire et de la peinture pour nous occuper.
Comme le soleil brille et que je n’ai pas de clients, je sors mon vélo de sa léthargie hivernale. Que ce soit à la radio, à la télé ou dans les journaux, on nous exhorte à nous laver régulièrement les mains.

Mardi 17 mars Les hôtes du W.E. prochain se décommandent mais les hôtels peuvent toujours ouvrir; nous sentons que le confinement pourrait durer plus de trois semaines. Je ne sais pas quand je pourrai à nouveau travailler. Je n’ai plus aucun revenu. Heureusement Didier touche sa pension et rester à la maison, nous fera moins dépenser.

Ta tante Émilie, la fleuriste, a été acheter quelques fleurs chez son grossiste, il reste à celui-ci un stock incroyable de plantes fleuries. Les deux employées d’Émilie, travaillent toujours, normalement, elles n’ont pas droit au chômage technique.
Je nettoie les salles de bain des chambres d’hôtes, pour le reste cela attendra car je ne sais pas quand les clients reviendront. Les annulations continuent jusqu’au mois de mai.

Je profite encore du beau temps, et pars pour 25km à vélo.
L’UEFA a annoncé le report du championnat d’Europe de football qui devait commencer le 12 juin. Le championnat de foot est suspendu, ainsi que toutes les réunions sportives de ce printemps. Les réunions publiques et privées sont interdites, plus de messes, mariages et les enterrements se font en cercle restreint.

Mercredi 18 mars Tous les magasins non alimentaires doivent fermer à midi. Émilie solde toutes ses plantes fleuries et les clients se précipitent en un dernier rush. Ses employées peuvent profiter du chômage. Avec 70% de son salaire et Gabriel qui ne va plus à la crèche, Pauline n’est pas mécontente de rester chez elle.
Les cours que Didier donnent aux réfugiés avec l’ASBL du Miroir Vagabond sont suspendus.
Les châssis de la véranda devaient être repeints depuis deux ans et nous nous y attelons toute la journée. La pluie interminable des dernières semaines s’est interrompue et le soleil brille.

Jeudi 19 mars Géraldine et Émilie sont confinées chez elle avec leur famille. Elles s’organisent pour donner cours le matin et laisser jouer les enfants l’après-midi. Elles cuisinent, dessinent et redécouvrent les joies de la vie de famille.
La nouvelle vient de tomber, tous les hébergements touristiques, gîtes, campings, chambres d’hôtes doivent fermer et les touristes sont priés de rentrer chez eux. On ne peut plus rejoindre sa seconde résidence.

Vendredi 20 mars Tous les matins nous trainons au lit, dans neuf mois, il risque d’y avoir un baby boom! Déjeuner avec le journal et nouvelles du jour : les bus affichent complet dès qu’ils ont chargé cinq passagers, les gens se ruent sur le papier W.C. alors que le covid 19 s’attrape par la bouche et non par le cul!,

Fabian, mon filleul, chirurgien, a annulé tous ses rendez-vous et opérations comme tous les médecins de l’hôpital d’Arlon. Ils se tiennent prêt à recevoir les malades. La Province de Luxembourg est plus épargnée que d’autres. Il est très inquiet car ils n’ont pas de stock de masques de protection et le virus s’attrape via les postillons.

De nouvelles habitudes s’installent comme « l’heure solidaire » – tous les jours à vingt heures, les gens sortent sur leur balcon pour applaudir le corps médical qui d’après les prévisions devrait affronter un afflux de malades ce W.E. et la semaine prochaine. Ici, à la campagne, les gens restent chez eux, jardinent, se baladent en solitaire ou partent à vélo.

Au lever, nous avons pour habitude de lire le journal « Le Soir »; à présent, nous regardons aussi le journal télévisé. Les infos tournent autour du coronavirus : comment la situation évolue au niveau mondial, comment les gens s’occupent, comment cinq millions de masques venant enfin d’arriver de Chine sont escortés par la Protection Civile et la Police jusque dans les casernes où ils seront distribués sous haute protection. Les frontières sont fermées et les Hollandais priés de rentrer chez eux. De nombreux faisaient encore la java dans les gîtes. Chez eux, comme au Royaume-Uni, le confinement n’est pas obligatoire.

Fagne du Pouhon BD- Marie-France Lesage
Fagne du Pouhon, M-F Lesage

Samedi 21 mars C’est le printemps!
L’ouverture de la pêche est annulée et reportée sine die. Aucune voiture ne passe, j’ai nettoyé ma salle de bain à fond et lavé les rideaux de ma chambre – ce qui n’avait plus été fait depuis 13 ans. Ce sont des gestes qui m’occupent. L’après-midi, je fais mes deux mots croisés et le sudoku de mon quotidien puis une part de Rummikub avec Didier avant de partir pour une balade à la recherche d’un nouveau Pouhon (mot wallon donné aux sources d’eau ferrugineuse ).

Ce matin, j’ai téléphoné à mon amie Pascale, elle vit seule et, pour elle, le confinement doit être plus difficile que pour nous deux. Elle ne part plus à vélo, de peur de tomber et d’encombrer les urgences; ça situe le taux d’angoisse général et les recommandations que l’on nous prodigue.

Nous communiquons via WhatsApp avec la famille et les amis. C’est la première fois que l’on utilise cette facilité qui nous permet de parler à plusieurs sur l’écran.

Les Anglais ont enfin fermé leurs pubs. C’est étonnant, ce qu’une dictature n’arriverait pas à faire, le virus l’a imposé. Tout le monde chez soi et pour des semaines. Heureusement, nous habitons la campagne et pouvons encore nous balader, pas à plus de deux personnes ou en famille vivant sous le même toit. Pas question d’aller manger chez des amis ou chez les enfants. Nous pouvons juste sortir, seul, pour faire les courses.

La terre jouit d’un repos bien mérité, la consommation d’énergie diminue, les poissons réapparaissent dans la lagune de Venise et les dauphins dans le port de Cagliari, ville de Sardaigne désertée par les ferrys. Nonante pour cent des vols aériens sont annulés et quand tous les ressortissants belges seront rentrés au pays, Bruxelles National risque bien de fermer.
Il y a tout juste un mois, nous partions pour une semaine, en famille, en Angleterre.

Le premier cas de coronavirus était détecté en Europe, en Italie et cela nous semblait loin de nous. Mais le monde est un village; quatre semaines après nous voilà tous confinés et le taux de mortalité en Italie est ahurissant, les hôpitaux sont débordés et certaines personnes continuent à ne pas respecter les consignes, accentuant désespérément cette situation. Les infos du soir signalent plus de huit cents morts, tués par le virus, en Italie.

Dimanche 22 mars Comme tous les jours se ressemblent et pour marquer le dimanche, nous avons décidé de ne rien faire aujourd’hui. Nous nous levons à 9h55, du jamais vu, et déjeunons en lisant les règles du gin-rami que j’ai toujours voulu apprendre. Merci Rose Tremain pour son roman « La sonate de Gustav » qui m’a donné envie d’apprendre le gin-rami. Nous n’écoutons jamais d’info à la radio mais de la musique en continu sur Deezer. Didier lit son journal sur internet et me commente les infos récentes les plus importantes. Le soleil luit, le ciel est d’un bleu d’azur, c’est un beau temps pour flâner sur les terrasses sauf que tout est fermé. A Durbuy, les rats en profitent pour ressortir via les taques d’égouts dans les rues désertes.

Nous vivons une vie de patachon, vélo, lecture puis apéro-gin avec une première partie de gin- rami qui s’avère être une jeu intéressant.

A 19h30, journal télévisé, la seule lucarne qui nous relie au monde. Tous nos cercles ont volé en éclats : les hôtes, la famille, les amis, les voisins bien que l’on discute avec ses derniers d’un côté à l’autre de la route et que l’on se téléphone ou s’écrit avec les autres pour prendre des nouvelles.

Lundi 23 mars : je quitte enfin la maison en voiture pour aller faire des courses; la pharmacienne est toujours aussi charmante et aucun garde n’empêche les clients d’entrer dans le Delhaize.

Pourtant en Italie ou l’épidémie s’est déclarée dés le 27 janvier 2020, c’est la tragédie. Un médecin supplie de tout fermer. Un appel impensable il y a encore quelques semaines dans un pays ouvert et libéral. L’Italie a dépassé la chine pour le nombre de morts, 3.456. Le taux de létalité est de 12,1% alors qu’il était de 5,8 à Wuhan, la ville chinoise la plus touchée. Une quinzaine de médecins italiens sont déjà décédés des suites de la contagion au virus. Les gens meurent et sont enterrés seuls, sans le réconfort de la famille ou de la religion. C’est un cortège de corbillards et de camions militaires à l’entrée des cimetières.

En Belgique, il y a de plus en plus d’admissions aux soins intensifs et les urgentistes se plaignent de ne pas avoir suffisamment de masques adéquats. Surtout les modèles chirurgicaux FFP2 et FFP3. Le manque de test sur la population est également montré du doigt.

En Europe, malgré des approches différences pour aborder le virus dans chaque pays, on découvre des taux de mortalité très similaires. Les Hollandais qui laissaient toute liberté à leurs nationaux font maintenant face à de nombreux décès et viennent de fixer le confinement jusqu’au 1er juin. Dire qu’il y a encore quelques jours, ils faisaient encore la bringue dans nos gîtes et se pointaient en groupe dans les magasins, ignorant les recommandations d’y pénétrer seul et sans enfant.

Ma boîte mail est au repos ; les quelques messages qui arrivent encore se clôturent toujours par la formule : « Prenez bien soin de vous et de vos proches ! »

Les écoles ne rouvriront certainement pas avant les grandes vacances. Hier, un économiste conseillait de les supprimer et de donner cours pendant juillet et août. L’aéroport de Charleroi fermera ce mardi à minuit et il reste moins de 5% de vol à Bruxelles National.

Les coiffeurs sont toujours ouverts au public. Ils exigent des autorités l’ordre de fermer tous les salons. Ils estiment le danger trop grand.

La distillerie de Charleroi ou la sucrerie de Tirlemont ont adapté leurs outils et se lancent dans la fabrication de gel désinfectant pour la Police, la Protection Civile etc…

Les universités ne reprendront pas leur cours avant le 30 juin ; en attendant, ceux-ci sont donnés en ligne.

Étoffe blanche accrochée comme invocation sur l’arbre à loques des Menhirs d’Oppagne — De la série « Blanc »

Mardi 24 mars : J’ai dormi onze heures. C’est presque indécent quand je sais que dans les hôpitaux, le personnel se démène dans des conditions de travail inhumaines. Le monde se scinde en deux groupes : ceux qui protègent et ceux qui sont protégés.

Que puis-je faire pour aider? Coudre des masques comme ces ateliers de couture qui sans travail se recyclent dans la confection de cet accessoire soudainement devenu  essentiel ou simplement respecter le confinement et proposer mon aide aux petits vieux du voisinage?

Je viens de voir une aide-soignante avec un masque en Wax. Cela pourrait faire sourire, ça montre surtout le manque de matériel à disposition des aides-soignants et infirmiers à domicile. La Police commence à verbaliser tous ceux qui ne respectent pas « la distanciation sociale », cette nouvelle expression qui traduit la distance de minimum 1m50 à respecter entre chaque individu. 30.000 Belges sont toujours coincés à l’étranger. Des files de mobilhomes attendent des ferrys pour quitter la Maroc et rejoindre l’Espagne, pays où la pandémie progresse très rapidement avec presque 3.000 morts et des personnes âgées abandonnées ou laissées pour mortes dans des maisons de retraite. Le manque de matériel est un mal commun à de nombreux pays.

Le ton commence à monter contre la Ministre de la santé, Maggie De block, car les masques chirurgicaux manquent et l’on vient d’apprendre qu’un stock périmé de plusieurs millions de masques a été détruit début 2019 sans être remplacé par souci d’économie. Par contre des entreprises en chômage technique se lance dans la fabrication de masques en 3D, sorte de visière qui protège tout le visage et permet de réutiliser les masques traditionnels.

Nos deux amis canadiens sont rentrés le vendredi 13 mars après un périple de onze semaines en Patagonie. Ils sont en quarantaine car testés positifs. Ils auront certainement été contaminés lors de leur voyage de retour. Les occidentaux voyageaient à travers le monde comme dans un village. A présent, cela engendre de la xénophobie. Certains Belges coincés à l’étranger en témoignent.

En décembre 2019, la pandémie a commencé au centre de la Chine, dans la ville de Wuhan, toujours fermée mais où la vie sociale et économique redémarre tout doucement.

Je viens de rentrer mon formulaire pour le droit au chômage des indépendants, une mesure exceptionnelle qui me permettra de toucher 1.290€ par mois.

Les Do-Do, nos amis bruxellois ont réservé cet après-midi une chambre pour le début du mois de juin. Les affaires reprendraient-elles? Par contre, les coiffeurs qui étaient toujours ouverts, doivent à présent fermer. Le secteur de la construction est au chômage à 70% et ceux qui travaillent font face à une pénurie de matériaux. C’est une situation inédite!

Je vais passer ma soirée devant le feu de bois – le soleil brille mais les nuits sont glaciales, – achever mon roman « I’m Pilgrim » dans lequel un terroriste tente d’inoculer la variole au peuple américain. Un scénario pas si utopiste que cela!

Mardi 24 mars, toujours

Après un an de blocage, les dernières élections fédérales ont eut lieu en mai 2019, nous avons enfin depuis hier, un gouvernement. Sophie Wilmès qui était notre premier ministre, a reçu  les pouvoirs spéciaux. Le gouvernement qui était en affaires courantes, s’est mis en place pour six mois.

Quant à moi, c’est une journée Karcher qui s’annonce : le trottoir et les meubles de jardin puis partie de gin rami avec apéro. J’ai toujours adoré jouer aux cartes. Gosse, je jouais avec mes frère et soeurs au jeu de bataille, au Valet Noir ou à Tape-Tape. A douze ans, je faisais la quatrième au jeu de couyon. J’avais été harponnée par mon grand-père paternel, sa deuxième épouse, une femme de caractère qui était la plus jeune soeur de ma grand-mère et ma grande-Tante Mimie, fluette, charmante et bourrée de tendresse. Ils s’amusaient tous trois de me voir battre les cartes mais je tenais la distance pour ce qui concernait le jeu. Ce furent des après-midis de convivialité autour de la table de la cuisine avec café, chocolat ou alcool de prunelle maison.

A seize ans, j’ai rencontré Didier. Les samedis soir, nous montions à Deux-Rys, chez ses grands-parents maternels, jouer à la Rams avec quelques uns de ses douze oncles et tantes qui revenaient en Ardenne pour le W.E. Didier étant le plus âgé des petits-enfants, il était un peu comme leur cadet. Les parties de fou rire étaient mémorables autour de la grande table où nous étions parfois plus de dix à jouer avec passion pour quelques francs. Voir son grand-père, homme respectable, maître d’école, grand catholique et organiste à l’église tricher aux cartes, fut pour moi une leçon de vie.

Depuis deux jours, Didier a décidé de ne plus se raser. Il m’impose cette horreur chaque fois qu’il n’a plus de vie sociale. Alors, je ne le regarde plus. Dur, dur quand on reste à deux pendant des jours sans voir personne.

Mercredi 25 mars : Ce matin, j’ai lavé la cuisine et les vitres de la véranda, les châssis sont peints. J’ai l’impression de terminer mon nettoyage de printemps. Cela me rappelle celui de maman quand j’étais petite. Née en 1930, elle avait comme de nombreuses jeunes filles de l’époque suivit les cours à l’école ménagère de Monville. Elle apprenait à coudre des langes, repasser des mouchoirs, tricoter des chaussettes, cuisiner un rôti ou broder des draps de lit. Le nettoyage de printemps à terminer avant Pâques faisait également partie du kit de la parfaite épouse.

Grâce à WhatsApp, nous sommes tous les jours en communication avec nos deux filles. Même si la peur de l’après Coronavirus leur trotte dans la tête, elles profitent de ces moments en famille, et travaillent au jardin. Ceux-ci n’auront jamais été autant soignés. L’école a recommandé aux enfants de profiter de leurs parents avant de penser aux devoirs qu’ils reçoivent chaque semaine. Nous avons la chance de vivre à la campagne et de posséder un jardin. Notre lieu de confinement est une prison dorée. Ce n’est certainement pas le cas partout. La violence familiale et conjugale risque d’exploser dans les appartements exigus. Pour nous, les cauchemars sont nocturnes, cette situation engendre un stress qui ressort lors de notre sommeil. Nos rêves en sont des plus farfelus.

De plus en plus, la fracture sociale entre les travailleurs apparaît , les cols blancs sont à la maison et télétravaillent alors que les caissières, les policiers, les éboueurs, les pompiers, les chauffeurs de bus, les aides à domicile, tous ceux qui font tourner notre société actuelle sont au front pour un salaire déprécié alors que leur boulot est devenu essentiel.

De nombreux scientifiques prônent un dépistage plus important, cela permettrait de cibler les personnes infectés, de les confiner et de permettre à ceux qui sont négatifs de reprendre le travail plus rapidement. C’est ce qui se fait d’une façon systématique en Corée. Chez nous les tests sont encore trop limités.

Le  boulanger va fermer tous les après-midis, les ventes diminuent, les gens font leur pain et n’achètent plus de pâtisseries mais de la farine en vrac. Olivier, le jeune meunier de Lafosse, voit son chiffre de vente augmenter. En ville, Géraldine ne trouve plus de levure.

Les jeux olympiques qui devaient commencer le 24 juillet sont reportés à l’année prochaine. C’est une catastrophe pour les sportifs. Tout le monde est vraiment impacté!

Jeudi 26 mars : Le pic de la maladie  n’est pas encore atteint, le nombre de patients hospitalisés double tous les quatre jours. Aujourd’hui, il y a eu 536 nouvelles admissions en clinique et d’ici trois, quatre jours, le nombre de patients hospitalisés et en soins intensifs risque de doubler.

Vendredi 27 mars : Les pouvoirs spéciaux ont été votés. Ils auront trait à la gestion de la crise épidémiologique. Ses pouvoirs spéciaux dureront trois mois, et seront renouvelables une fois. Notre Première Ministre, la première femme a accéder à ce poste en toute discrétion, gère la crise avec beaucoup d’empathie.

Elle nous apprend que le confinement est prolongé jusqu’à la fin des vacances de Pâques, c’est à dire le dimanche 19 avril à minuit, voire jusqu’au 3 mai, le jour de mon anniversaire!

Certains jeunes n’ont pas encore adhéré aux règles du confinement et organisent des « lockdown parties », d’autres partent encore à la mer ou dans les Ardennes. Comme les déplacements sont limités au strict nécessaire et les réunions interdites, les sanctions prévues vont dés lors être durcies. On bascule de la prévention à la répression. On estime que neuf personnes sur dix respectent les instructions.

La tension gronde dans les prisons, les visites sont interdites et le confinement rend les prisonniers très nerveux.

En tant qu’indépendante, je peux réclamer une aide unique de 5.000€ que je devrais toucher dans deux semaines.

Même si nous restons enfermés, nous devons garder une certaine routine. Paola, ta grande sœur de onze ans, élève de sixième primaire à l’école du Beau Mur de Grivegnée, devait, aujourd’hui, exposer son chef d’oeuvre. Tes parents ont eu la bonne idée de lui faire présenter son travail dans leur salon.

Samedi 28 mars : Le premier ministre britannique, Boris Johnson, est contaminé. Ce dernier n’était pas partisan du confinement qui a pourtant été instauré en début de semaine dans tout le Royaume-Uni qui fait face à une pandémie en pleine accélération avec déjà 759 morts.

Je me suis inscrite comme bénévole sur la plateforme solidaire de la commune.

Les ingénieurs ne sont pas à l’arrêt. Ils sont nombreux à chercher de nouvelles solutions pour remplacer le matériel manquant dans les hôpitaux. Certains adaptent des masques de plongée des magasin de sport Décathlon avec des embouts créés grâce aux imprimantes 3D. Et ça marche! Avantage : rapidité d’exécution et petit prix de revient.

Des photos arrivent des USA, de New York, en particulier, la ville qui ne dort jamais est à l’arrêt. Des millions de personnes sont au chômage. Le nombre d’hospitalisation aux urgences a augmenté de 40% et la pénurie de respirateurs, gants, blouses et masques inquiète comme partout ailleurs. L’imprévision est la même dans tous les pays.

La Russie vient également d’installer le confinement.

Dimanche 29 mars : Nous sommes passés à l’heure d’été, cela nous fera une heure de confinement en moins. Pour marquer le dimanche, nous ne bougeons pas, enfin, façon de parler. Je passe de l’ordinateur à mon fauteuil, au coin du feu. Le temps se prête à cette paresse car le soleil nous a quitté et il neigeote à l’extérieur.  Le froid n’est pas encore parti. Le dicton wallon dit : « Tant qu’lès nwèrès spenes ne sont ni florîyes, le bon timps n’est ni là ! » « tant que les prunelliers ne sont pas fleuris, le bon temps n’est pas là ». Les prunelliers commencent leur floraison.

Didier gratte la guitare. Il a commencé à en jouer en janvier 2019. Il s’est installé au grenier avec ses instruments, son ampli et son ordinateur pour traiter ses photos. Il s’est enfin rasé. Je l’adore.

Je viens de terminer le carré « Le brun dans la nature ».

Marie-France Lesage - BRUN
Marie-France Lesage – BRUN

Les racines élémentaires
Le brun est la couleur de la terre, des écorces, des feuilles mortes, des champignons et des racines.
Il se décline dans des dizaines de nuances: du chocolat au café au lait, du noisette au brou de noix, du caramel à la cannelle ou du fauve au mordoré.
Il est symbole de naturel, de calme, de solidité, de rusticité et d’assurance.
C’est la couleur de l’iris du cheval ardennais, de la robe baie du cheval Bayard, monture féérique des quatre fils Aymon et légendaire coursier de la forêt ardennaise. En wallon : li tchvå Bayåd, vigoureux et robuste.
C’est la couleur du pauvre, du camouflage, du cerf et du sanglier, des oiseaux, des traces et des empreintes. Tout vire au brun un jour ou l’autre: les fleurs qui fanent, les fruits qui pourrissent. C’est la couleur de la mort, de la boue et de la crasse, la couleur de nos excréments, du fumier et du lisier.
C’est une couleur que l’on obtient en mélangeant les trois couleurs primaires. Les couleurs chaudes avec les couleurs froides, la vie avec la mort.

Lundi 30 mars : Notre premier geste est de dévorer le journal. Le covid 19 fait vraiment la une du quotidien. Il impacte la vie politique et les dissensions dans la Communauté Européenne. Il fait ressortir l’égoïsme des pays du Nord, vertueux budgétairement : Allemagne, Hollande, Autriche et pays Baltes, envers l’Italie et l’Espagne, débordés par la pandémie et criant au secours. A ce jour, les Italiens comptabilisent plus de 10.000 morts avec un chiffre macabre de plus de 800 décès par jour.

Le virus inquiète toujours le monde médical : Les généralistes après un mois de consultation par téléphone vont devoir réouvrir leur cabinet car certains cas nécessitent une auscultation. Des patients Covid 19, sortis de l’hôpital et toujours contaminants, ne savent pas comment et par qui ils seront pris en charge. Une infirmière de trente ans, sportive et en bonne santé, est décédée en Flandres, ce qui angoisse ses collègues sur le risque de contamination pour eux et leurs proches. Tout cela fait qu’une deuxième vague est attendue et redoutée par ceux qui se démènent corps et âme dans des situations de médecine de guerre où ils arriveront bientôt à poser le choix éthique de savoir quel patient soigner.

Je suis sur l’autre rive de ce torrent. Ma journée consiste à trouver de quoi m’occuper. Aujourd’hui, je vais peindre le couloir après avoir mis sur le feu, une soupe préparée avec les derniers poireaux du jardin. C’est un légume qui me remémore mon père. Il en avait la passion.

A cinquante-deux ans, il avait repris un établissement horticole petit et familial. Il n’avait qu’un seul ouvrier, Eugène, un vieux garçon taiseux, aux habitudes bien ancrées et fermier après journée. Le jardin et les serres qui devaient couvrir 700 m2 étaient son domaine pendant que maman s’occupait du magasin de fleurs. Il cultivait des bégonias qu’il repiquait à la pince à épiler, pendant tout l’hiver, assis bien au chaud dans la serre de multiplication. Ces maisons de verre avaient toutes un nom : la serre froide, la serre roulante qui aurait pu se déplacer si il y avait eu assez de place pour le faire, la serre du fond ou celle des pieds-mères de géraniums qui permettait de prélever les boutures et la serre aux plantes qui servait de réserve pour le magasin. Le long des serres, une quinzaine de couches vitrées couvraient le reste du terrain. C’est dans celles-ci que papa cultivait plantes annuelles et légumes avec une prédilection pour les poireaux qui s’empaquetaient par milliers en bottes de cinquante ou de cent pièces. Assis dans un cagibi de tôles et de plastiques, vêtu d’un tablier qu’il avait confectionné avec un vieux sac de terreau et une ficelle, il les comptait inlassablement avant de les emballer par bottes dans un morceau de journal plié avec rigueur. Ensuite, armé d’un ancien couteau rafistolé, il leur coupait les racines et les pointes.

Mon père était le roi de la récup. Avec sa Renault4 fourgonnette, il partait au parc à containers où l’on pouvait évacuer tous nos déchets, vidait sa voiture puis ramassait tout ce qu’il estimait récupérable et rentrait avec un véhicule plus rempli qu’à l’aller.

Sur son cercueil, comme je lui avais promis, j’ai déposé une gerbe de poireaux. Ces légumes qu’ils trouvaient plus élégants qu’une fleur et qui pouvaient détruire ses relations de voisinage quand au printemps, Whisky, le chien du voisin, un petit homme imbu de son autorité de garde champêtre, cachait ses trésors osseux dans les couches où pointaient bien alignées les pousses de ces précieux légumes.

Mardi 31 mars : Je range la buanderie et je trie tout ce que j’entasse depuis 14 ans. A cette époque, quand nous avons déménagé à Aisne, dans notre maison d’hôtes, j’ai changé de vie. Pendant trente ans, j’avais travaillé comme fleuriste. Dix ans avec mes parents et vingt ans à mon compte. Mais j’étais fatiguée de ce travail et j’aspirais au changement. Aussi, étais-je heureuse d’entrer dans ma nouvelle maison et de relever un nouveau défi avec ses chambres d’hôtes.

Aujourd’hui, je me suis lancée dans la fabrication de profiteroles moi qui ai horreur de faire de la pâtisserie. Le résultat n’est pas mal mais elles ne sont pas aussi délicieuses que celles de Marie-Jeanne qui nous en prépare plusieurs dizaines à chaque anniversaire. Vivement celui d’Alice!

Pour les nouvelles du jour, elles nous disent que nous nous rapprochons du pic, que la maladie est toujours dans sa phase ascendante.

Pour ceux qui restent confinés, c’est le retour vers des valeurs essentielles : en s’occupant de la famille, de l ‘éducation des enfants, en prenant le temps de vivre, de lire, cuisiner ou jardiner.

Cosimo, tu profites de ce climat de calme. Tu dors sans angoisse car tu sens tes parents à tout moment près de toi.

Nombreux sont ceux qui prédisent une révolution après cette épidémie. Il y aura des dégâts sociaux, économiques et psychologiques. L’hyper-mobilité et l’hyper-consommation qui créent ses épidémies virales devront être revues. Un nouveau mode de développement  devra apparaître.

Le WWF fait un lien entre la déforestation et la diffusion des virus dans le circuit humain : en Amazonie, les zones déforestées présentent une densité plus élevée de moustiques porteurs de la malaria comparés aux forêts intactes, au Malawi, la surpêche a mené à la disparition  progressive  de poissons qui se nourrissaient de gastéropodes porteurs d’un ver parasite qui transmet la bilharziose à l’homme.

J’ai téléphoné à mon neveu, chirurgien à l’hôpital d’Arlon. Les admissions ne sont pas aussi importantes que dans d’autres régions du pays. A présent, chaque patient entrant à la clinique doit passer un scanner, la seule façon de certifier qu’il n’a pas le covid19. Les tests ne sont pas assez fiables. Cela engendre beaucoup de travail et d’angoisse pour son épouse, Nathalie, radiologue au même endroit

Mercredi 1er avril : une jeune gantoise de douze ans est décédée hier. L’émotion est montée d’un cran car il y un mois, on nous parlait d’une mauvaise grippe attaquant surtout les personnes âgées ou affaiblies par des problèmes de santé et l’on se rend compte à présent que le virus peut tuer des personnes jeunes et en bonne santé. Par contre cette épidémie engendre une énergie positive, les contacts téléphoniques sont plus fréquents, on se reparle.

Hier soir, je n’ai pas regardé les infos. Tout tourne autour du coronavirus, il n’y a plus aucune autre information. C’est un climat de fin du monde ou de révolution si nous avons le courage de changer vos habitudes.

Je deviens de plus en plus fainéante.

Voilà deux jours que je nettoie ma buanderie de six mètres carrés et il me faudra encore une matinée demain pour terminer. Lever tardif, déjeuner en lisant le journal, téléphoner à l’un ou l’autre, dîner et jeu de rami, 25km à vélo avec prise de photos, retour et traitement des photos. Il me reste peu de temps dans la journée pour achever mon nettoyage; c’est pas grave, j’ai tout le temps devant moi, la fin du confinement n’est pas encore annoncée.

Ma sœur, Françoise, me téléphone. C’est plutôt rare, je sens que l’isolement lui pèse, elle ne voit plus ses trois petits-enfants et elle pleure quand elle voit le bébé Blaise sur Skype.

Jeudi 2 avril : Toujours le calme plat. J’ai l’impression de vivre au pays de la Belle au Bois Dormant. A quoi ressemblera demain? La libération semble si lointaine.

Des Canadiens viennent d’annuler leur réservation du mois d’août. L’incertitude est dans tout et surtout chez les jeunes. Emilie et Olivier dorment mal. Quel sera leur futur? L’angoisse monte de plus en plus et nous ne sommes qu’au début. Cependant, il y a plus malheureux que nous : tous les sans-papiers qui dépendent de l’économie informelle se retrouvent sans moyens de subsistances. Ils sont estimés entre 100.000 et 150.000 en Belgique. Plusieurs collectifs d’aide aux sans-papiers demandent leur régularisation car sans revenus et abris, ils ne peuvent rester confinés. Ils sont donc plus sensibles à la contamination et risquent également de lima propager. La situation est souvent incohérente : des personnes libérées de centres fermés reçoivent l’ordre de quitter le pays dans les trente jours alors que les frontières sont fermées et que le trafic aérien est inexistant.

Le trafic routier s’est effondré de plus de 95%.

Le tournoi de Wimbledon est annulé et Trump voit sa côte de popularité s’affaiblir. Cela ne l’empêche pas de continuer à mentir comme un arracheur de dents et de déceler des fake news partout. Confiant dans sa réélection en novembre de cette année, il risque de pâtir de cette pandémie qui pourrait faire plus d’un million de morts aux Etats-Unis. Je viens d’entendre à la radio que sur le tarmac des aéroports, en Chine, les Américains surenchérissaient trois ou quatre fois sur les lots de masques commandés par la France et les payent cash. Ce sont de vrais méthodes de cow-boy!

Ce matin, j’ai téléphoné à maman pour lui proposer d’aller chercher son magazine à la librairie. Elle y était allée alors que je lui recommande depuis des semaines de ne plus circuler en rue et de limiter ses déplacements à son jardin. C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Voilà des années que je m’occupe d’elle et elle continue à n’en faire qu’à sa tête. Grand bien lui fasse, je lui rapporte sa carte de banque, ainsi elle pourra demander à quelqu’un d’autres de s‘en occuper. Moi, j’ai donné. Basta!

Paola cherche des livres se passant entre 1860 et 1880 en Amérique du Nord, elle veut écrire un roman. Il n’est jamais trop tôt pour commencer. Et si elle ne trouve pas l’inspiration, ces lectures lui permettront d’augmenter sa culture générale (sic). Elle tient de son papa. Géraldine a toujours été plus rétive face à l’apprentissage. Mon frère Pierre, quant à lui, commence à écrire une pièce de théâtre. Les littéraires montrent le bout de leur nez. Jusqu’où iront-ils?

Quelques chiffres de ce matin : 828 morts (+123 en 24h ), 4.995 hospitalisations (+ 75 en 24h ), 1088 personnes aux soins intensifs ( +67 en 24H ), 2132 guéris (+436 en 24H ).
46.150 morts du Covid19 dans le monde.

Vendredi 3 avril : La Suède a pris le parti de l’immunité collective. Le confinement n’est pas instauré. Le gouvernement compte sur l’autodiscipline innée de ses habitants et les recommandations pour contrer la pandémie. Dans le monde, il y a million de cas recensés, dont 51.718 décès ont été détectés dans 188 pays notamment aux USA où l’épidémie progresse actuellement le plus rapidement. Les journaux analysent notre nouvelle vie : comment travaille le personnel soignant, comment vivent les familles, comment les artistes creusent de nouveaux moyens de communication ou comment le monde scientifique cherche des solutions à tous les problèmes engendrés par la pandémie qui en trois semaines à chamboulé notre monde.

Dire que le samedi 13 mars, j’écrivais à mes hôtes du WE suivant que si les restaurants étaient fermés, ils pourraient manger avec nous. J’étais inconsciente de la durée et de la rigidité du confinement. Le mercredi 17 mars, mes hôtes m’informaient qu’ils ne viendraient pas, nous étions alors tous conscients du bouleversement.

Je suis retournée me rabibocher avec ma mère. Elle n’en fait qu’à sa tête, c’est pire qu’une ado.

Elle a eu nonante ans ce 21 janvier. Trois mois avant, elle partait bras dessus, bras dessous avec sa voisine, rendre visite pour un décès quand elle a été renversée par Hugo, son petit voisin, qui s’était précipité vers elle pour lui dire bonjour. Fracture du crâne, deux jours aux soins intensifs, six semaines à l’hôpital et autant en maison de repos, avant de pouvoir rentrer chez elle. Cet accident ne l’a pas empêchée de reprendre sa vie comme avant, même si elle se plaint encore souvent de ne plus être aussi alerte. Bref, elle refuse de vieillir et n’accepte pas notre aide. Je suis donc revenue chez elle, ce matin. Elle en avait déjà profité pour retirer 600 euros de son compte. C’est beaucoup de cash pour payer le pain. En cette période de virus, tous les autres services doivent être payés avec la carte bancaire.

Samedi 4 avril : Un hall du marché de gros de Rungis est occupé par les pompes funèbres qui manquent de place dans la région parisienne pour stocker les corps.

Ici, le soleil luit, les habitants du village et de la vallée ne semblent pas affectés par le coronavirus. Voilà trois semaines que nous sommes bloqués chez nous et c’est le premier jour des vacances de Pâques, il est formellement interdit de quitter sa maison sous peine d’amende. Le tourisme est à l’arrêt mais je présume que si les mesures sont levées, cette été, les gens partiront plus volontiers en Ardenne ou à la mer qu’à l’étranger. Cela devrait être bénéfique au tourisme local. Le journal « Le Soir » titre : « les vacances de Pâques sont perdues, celles d’été seront belges ».

Depuis deux jours, Émilie, comme Hamlet, se pose des questions :

« Dois-je retravailler avec des commandes via internet et des livraisons chez le client ou est-ce mieux de rester confinée? ».

Certains de ses collègues proposent un choix restreint de bouquets à livrer et elle a peur que ses clients ne l’oublient. Aujourd’hui, elle était pour le statu quo et je pense que c’est la bonne solution.

Dimanche 5 avril : C’est le dimanche des Rameaux. Chaque année, maman nous apporte une branche de buis bénit, à garder pendant un an à l’intérieur de la maison. Comme les messes sont annulées, je suppose que ce rameau porte-bonheur, sera reporté, comme tout le reste, en 2021.

Eh bien non, elle l’a béni elle-même avec de l’eau bénite qu’elle a toujours sous le coude.

Le temps est magnifique, il fait 20°, les vélos sont de sortie. C’est le seul moyen de locomotion autorisé. Aucun résidant dans le gigantesque camping de Blier, les mesures de confinement sont suivies à la lettre. Arrivés à La Forge-à-la-Plez, Didier victime d’un étourdissement, fait une chute. Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui.

Depuis le début du confinement, nous avons pris l’habitude d’un apéro avant le souper. On voit certains, le prendre avec leurs amis via skype ou WhatsApp. Cela rappelle les soirées entre copains ou les sorties au resto. Hier soir, Didier a ouvert une bouteille de vin blanc pour accompagner les filets de sébaste. Il vient d’Azerbaïdjan, de la cave Khan de Goygol, anciennement appelée Helenendorf. Ce village est une ancienne colonie allemande, établie en 1819 par 135 familles souabes ayant émigré dans le Caucase après avoir descendu le Danube, contourné la mer Noire, traversé le Don à Rostov, pour venir s’installer à 370 km à l’Ouest de Bakou. La deuxième génération créa des vignobles qui désaltérèrent pendant des décennies la Russie puis l’URSS. En 1941, Staline, effrayé par cette présence allemande dans le Caucase, déporta toute la communauté, forte de 25.000 personnes, vers le Kazakstan et l’Asie centrale.

Nous sommes passés à Goygol en septembre 2019. Nous avons visité cette ville allemande avec église, école et caves viticoles où nous n’avons pas pu goûter le vin que nous venions d’acheter dans une petite boutique à l’allure soviétique alors qu’autour de nous, flottaient d’agréables arômes de raisins fermentés. Il est vrai que nous étions en pays musulman où la culture du vin n’est pas élevée au rang d’Art comme en Géorgie, pays voisin que nous allions visiter quelques jours plus tard.

Émilie vient de découvrir un compte Facebook « Fleuristes de Belgique en détresse », le « détresse » a été vite supprimé. C’est un site de partage qui la conforte dans le fait de respecter le confinement jusqu’au 19 avril et de profiter de ce temps précieux pour s’occuper de sa famille.

Lundi 6 avril : Le temps est toujours magnifique : 24°.

Ma nièce Charlotte a le covid depuis quinze jours. Ce sont des douleurs à la tête et surtout aux jambes qui l’empêchent de dormir. Elle reste confinée chez elle avec son mari et ses deux gamins.

Félix vient de recevoir son GSM. Il était le dernier à ne pas en avoir. Pour bien démarrer sur le compte WhatsApp familial, il a été, comme d’habitude, très créatif.

Samedi, les personnes quittant l’hôpital étaient plus nombreuses que celles qui y entraient. Par contre, le nombre de morts est toujours en augmentation.

Hier, dans son allocution télévisée, la première ministre Sophie Wilmès  a annoncé qu’un groupe d’experts va se pencher sur un scénario de déconfinement progressif. Celui-ci doit être bien réfléchi pour ne pas tomber dans une deuxième vague de malades. Par contre, il ne faudra pas trainer. Une étude de l’UCLouvain et de l’université d’Anvers montre l’ampleur des dégâts psychologiques de la quarantaine. Un Belge sur deux en serait victime.

Pour notre part, tout va bien, pas de violence conjugale, pas de solitude et pas de peur.

Mardi 7 avril : Toujours le train train quotidien. Pendant que Didier plante ses patates – la lune est bonne –  je me balade, prends des photos et passe des coups de fil aux filles (Hou, hou, les enfants me manquent, j’ai envie de les serrer dans mes bras à les étouffer ), puis dîner, rami, sieste et les courses alimentaires hebdomadaires.

Puisque je quitte la maison pour faire des achats, je m’astreins à m’habiller convenablement. Voilà des semaines que je n’ai plus teint mes cheveux. Pour les camoufler,  je viens de renouer mon foulard comme je le faisais lors de notre voyage en Iran. Nous avions logé avec Parvin et Moshem dans une ferme, au nord de Qazvin. Arrivés entre chien et loup, nous avions commencé par aller saluer, avec nos hôtesses, les voisins alentour. Nous étions hébergés par trois femmes et leurs vieux parents. Indépendantes, énergiques, elles voulaient tout savoir et interrogeaient sans cesse Parvin sur ces étrangers si rares dans leur république islamique. Ce sont elles qui m’avaient montré comment fixer mon foulard pour qu’il ne me dérange pas. En tant que fermières, elles savaient comment procéder. Et tant pis si le cou n’était pas couvert! D’ailleurs, le lendemain, dans le bazar de Rasht, j’ai reçu une remarque d’une Iranienne comme quoi je n’étais pas assez vêtue alors que je portais pantalon, tunique à mi-cuisses avec manches longues et foulard. Le tissu imprimé dans les tons de rose de ma chasuble ne semblait pas non plus correspondre aux critères des religieux.

Le personnel du magasin d’alimentation n’a ni masque, ni gants. Seuls deux clients en portent. L’un des deux s’est mis un foulard bleu à pois blancs plié en pointe. Un instant, j’ai cru faire face à Averell Dalton.

En rentrant, je me suis arrêtée chez Émilie pour lui faire signer ainsi qu’à Olivier et Félix, la cession du droit sur la photo de Félix tenant un crâne, celle qui a été retenue par le futur magazine « Pourtant ». C’est incroyable, voilà plus de trois semaines que nous ne nous sommes plus vus,  nous restons à deux mètres de distance et mes petites-filles se retiennent pour ne pas se jeter dans mes bras comme elles le font depuis toujours.

L’Autriche a réouvert les petits commerces et conseille le port du masque dans l’espace public. De nombreux festivals et évènements sont reportés à septembre et octobre. Si nous avons été confinés ce printemps, nous risquons de ne pas l’être cet automne.

Mercredi 8 avril : Cette nuit, un avion est passé vers minuit. Ce bruit incongru m’a réveillée. C’est étonnant comme notre cerveau reste en alerte. Emilie et Olivier souffrent toujours d’insomnie. La période que nous vivons est très anxiogène. Même si nous avons l’impression d’être en vacances – aujourd’hui, nous avons roulé soixante kilomètres à vélo jusqu’à la Fagne du Pouhon – nous savons que nous ne le sommes pas.

Le cap des 2.000 morts est dépassé en Belgique; 10.000 en France.

Mon amie Marijke – son nom signifie petite Marie en flamand – dont toute la famille vit à Gand, se tracasse pour sa maman placée en maison de repos où les visites sont interdites. Elle lui téléphone tous les jours mais a très peur car le covid 19 pénètre de plus en plus ces établissements. Le personnel y est mal protégé (pas de tests, trop, peu de masques et de gants). Le risque de contamination sur cette population âgée est beaucoup plus important.

Sa fille, inoccupée pour l’instant, va se porter volontaire pour travailler dans le home où vit sa grand-mère afin qu’une personne de la famille puisse être présente à ses côtés.

On meurt toujours seul, mais au temps du Covid, la solitude est décuplée.

Cimetière d’Odeigne
Cimetière d’Odeigne

Jeudi 9 avril : Je continue mon projet sur les couleurs dans la nature. Je travaille sur le blanc, le gris et le vert. Pour ce faire, hier, nous avons pris nos vélos et suivis la vallée de l’Aisne jusqu’à sa source. Mon intention était de photographier la mousse blanche qui est retenue par les petits barrages dans les tourbières. C’est un phénomène de saponification qui apparait seulement dans les eaux acides. L’Aisne prend sa source à Odeigne dans la Fagne du Pouhon – un biotope qui ressemble à la Finlande ou à la montagne au-dessus de 1.500m. On y retrouve entre autre, de la linaigrette, de la trientale ou du fenouil des Alpes. Le dénivelé de la rivière est de 500m. C’est étonnant quand on sait que le point culminant de la Belgique est de 694m. Là-haut, en haute Ardenne, on trouve des cimetières avec des tombes du 19ème siècle taillées dans le schiste d’Ottré. Ce sont de petits bijoux d’art naïf avec crâne à barbichette ou cheveux à crolles – encore une joli belgicisme qui veut dire boucles – avec fautes d’orthographe et signature de l’artiste avant de commencer à écrire la dédicace qui parfois n’est pas terminée par manque de place.

Sur le chemin du retour, nous avons acheté deux kilos de farine au moulin d’Odeigne, un des deux encore en activité dans la vallée qui comptait, il y a plusieurs siècles, plus de trente ouvrages hydrauliques.

Les meuniers sont un couple de trentenaires avec deux enfants. Ils perpétuent des gestes ancestraux dans un bâtiment d’un autre âge. Ici, pas de pénurie de farine comme dans les grandes surfaces. C’est le circuit court par excellence. Une antique sonnette à agiter et le meunier arrive pour nous servir.

A Odeigne j’ai venu être meunier l’an 1777 — Guillaume Nizet.

Ce matin, j’ai continué à repeindre les châssis de fenêtre. A présent je vais aller ramasser des orties pour cuisiner une soupe, cueillir les premières rhubarbes et préparer un crumble.

Ma recette : Je fais rissoler deux oignons, j’ajoute quatre pommes de terre puis, cinq minutes avant de mixer ce potage, j’y introduis une centaine de pointes de jeunes orties que je cueille en les pinçant entre le pouce et l’index comme le faisait ton arrière arrière grand-père pour stimuler sa circulation sanguine. Un peu de sel et poivre. Eh hop, c’est Byzance!

Nous dépensons beaucoup moins pour l’alimentaire et pourtant nous cuisinons tous les jours.

Aujourd’hui, chicons au gratin, un typique de la cuisine belge.

Encore une annulation de quatre chambres, quatre jours en juillet. Mon agenda se vide de plus en plus. Par contre, je viens de toucher le droit passerelle que le gouvernement donne à tous les indépendants obligés d’arrêter leurs activités. Ces 1.291,69€ me permettront de payer quelques factures.

Vendredi 10 avril : Je n’en crois pas mes oreilles, elles l’ont fait! Les cloches sont parties pour Rome. Pas de nouvelles aux infos comme quoi elles seraient bloquées aux frontières. La politique n’a pas encore la main mise sur les croyances et la religion. Il faut dire qu’avec le traçage, nos libertés individuelles vont en prendre un coup.

Aujourd’hui, nous avons fait une randonnée à vélo jusque Durbuy. La destination préférée des Belges en Ardennes est complètement désertée pour ce W.E. de Pâques. Les campings le long du chemin de halage le sont tout autant.

Cosimo, je t’ai vu tout à l’heure sur l’écran via WhatsApp partir en promenade avec Paola et ta maman. Tu trottinais, tétine en bouche et doudou pendouillant. Mon petit chéri, tu nous manques !

Les nouvelles du jour sont toujours aussi angoissantes : 3 millions de masques FFP2 arrivés de Chine ne sont pas conformes. Pour le mois d’avril, les besoins sont estimés à 15 millions de masques chirurgicaux et 2,8 millions de FFP2. C’est toujours la panique dans les maisons de repos où les tests manquent. Une sur six est un foyer épidémique. Un bataillon médical de l’armée est arrivé en renfort pour aider le personnel dont de nombreux membres sont malades.

La Belgique est le troisième pays en nombre de décès par habitant. Il est précédé par l’Italie et l’Espagne.

Samedi 11 avril : Hier soir, j’ai regardé le Journal Télévisé en accéléré, toujours des nouvelles terribles axées sur l’épidémie : la barre des trois mille morts est franchie en Belgique, la moitié des décès ont lieu dans les maisons de repos; une récession est prévue, plus importante que la terrible crise de 1929; de nombreux dégâts psychologiques sur la population confinée sont à craindre. Alors j’ai fermé la télévision et j’ai repris ma vieille habitude de lecture. Je viens de terminer le dernier livre d’Armel Job, « La disparue de l’île Monsin »,  une écriture fluide à la Georges Simenon. Je possède quatre chambres d’hôtes dont les noms sont ceux d’écrivains locaux. Georges et Armel ont la leur et toute leur oeuvre trône dans celle-ci. Pour construire ses histoires, Armel m’a avoué qu’il avait besoin d’un ancrage géographique réel, aussi, ai-je appris qu’Aisne, mon village, et mon jardin se trouvaient dans un de ses récits. Quel plaisir pour une lectrice de marcher dans un jardin de roman! Avant ce bouquin, j’avais lu – dans la forêt – de Jean Hegland, un récit prémonitoire sur notre vie actuelle. Et pour l’instant, je lis «La fabrique des salauds ».

Mon premier sourire, chaque jour, je le dois aux dessins humoristiques de Kroll dans – Le Soir – il a le talent pour schématiser et dédramatiser notre situation.

Dans le village voisin où je fais mes courses, il y a environ 1.200 habitants. En tant qu’ancienne commerçante, je connais tout le monde. Devant les devantures, nous ne formons pas vraiment de files,  chacun se met où il veut et papote plus que d’habitude, en respectant des distances de pestiférés.

Dimanche 12 avril : Nous sommes le dimanche de Pâques; je me suis levée aux aurores pour faire le travail des cloches dans le jardin de tes cousins car je dois te l’avouer, j’ai menti, elles n’avaient pas le droit de se rendre à Rome. J’aurais tellement voulu croire à ce voyage des cloches en Italie. Te rends-tu compte que même notre imaginaire est raboté? Et nous restons sans réaction, obéissant comme des moutons.

Les cloches de la chapelle jouxtant notre maison rythment mon quotidien, marquant inlassablement les heures et demie-heures.

En ce jour de Pâques, le pape François était seul, dans la basilique Saint-Pierre du Vatican, pour donner sa bénédiction. Les fidèles se sont contentés de le suivre à la télévision.

En Allemagne et aux Etats Unis, des messes étaient célébrées dans des drive in. Les fidèles répondaient Amen, en klaxonnant ou agitant leurs essuies glaces!

Youhou, je viens de recevoir une réservation pour le mois de juillet. Avec la vie d’ermite que nous menons, j’avais presqu’oublié le plaisir que j’ai d’accueillir des hôtes. Ces rencontres me font voyager sans bouger. Des personnalités improbables ont franchi mon seuil : Bénita, Iranienne d’obédience catholique avait réservé chez nous car sa tante Alice porte le même nom que notre maison d’hôtes, Mike et Wendy, brasseur et biologiste sur l’île de Kodiak en Alaska où les ours sont trois plus nombreux que les habitants, Adam, le premier enfant né sur le sol américain d’un couple de réfugiés allemands sous l’Allemagne nazie, Catherine épouse d’un Italien , vivant à Rome, née sur l’ile familiale écossaise, de parents aristocrates — toutes deux en bottes de caoutchouc, nous étions parties observer les sites de construction des castors —, Patricia, américaine, sur les traces de son père, GI pendant la seconde guerre mondiale, ayant traversé avec sa compagnie, l’Europe, du Havre à  Munster,  de Bastogne à Arhnem avant de pénétrer en Allemagne, Rita, autrice américaine, prospectant la région en vue d’un nouveau roman et me demandant de lui expliquer la signification du mot français « voilà » , Jean-François, géographe canadien, parti à vingt ans, en 1971, vers la Nouvelle-Guinée via un vieux cargo mixte colonial de la compagnie française des Messageries Maritimes, pour une traversée de 35 jours et un voyage de deux ans. Tous des personnages passionnants à écouter, que j’accompagne durant leur séjour  et qui me permettent de faire un voyage immobile.

Lundi 13 avril : Il y a quarante ans, nous habitions Wéris, un petit village de 400 habitants, ici, tout près. Le lundi de Pâques, les enfants passaient dans les rues pour distribuer de l’eau bénite, contenue dans un gros tonneau de fer qu’ils  tiraient derrière eux. Peu pratiquante mais respectant les usages, j’en prenais un verre que j’échangeais contre une pièce de monnaie. Verre qu’Émilie, petit bout’chou,  eut tôt fait d’avaler. Elle fut bénie ou bénite à vie. Je pencherais plutôt pour le premier adjectif car, ce jour là, c’est la main du hasard, plus que celle de Dieu qui devait trainer sur la table de ma cuisine.

Le mari de Charlotte vient de contracter le virus.

Par contre, nos amis canadiens sont guéris. Ils n’ont pas trop souffert. Ils ont pourtant presque septante ans.  Comme dit Louise, c’est sans doute grâce à leur jeunesse. Grands voyageurs, ils rentraient de onze semaines en Patagonie. Ils restent cependant en quarantaine car les données sur le covid19 sont imprécises quant à l’immunité.

La température a chuté de dix degrés, le ciel est gris et mon humeur morose. Mon sommeil comme celui de beaucoup d’autres est toujours perturbé. Je cuisine un potage à l’ail des ours. J’en ai ramassé, hier, le long de l’Ourthe pendant notre balade à vélo. Leurs fleurs blanches embaumaient le parcours et la mousse desséchée par ce mois aride envoyait déjà des parfums d’été.

Sur les ponts, Didier adore s’arrêter pour observer les poissons dans la rivière. Barbeaux et hotus profitent des eaux désertées par les kayakistes.

Pour les nouvelles du covid 19, je laisse le journal LE SOIR te les donner :

La pandémie du nouveau coronavirus a fait au moins 112.510 morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine, selon un bilan établi par l’AFP à partir de sources officielles dimanche à 19H00 GMT.
Plus de 1.824.950 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués dans 193 pays et territoires depuis le début de l’épidémie. Ce nombre de cas diagnostiqués ne reflète toutefois qu’une fraction du nombre réel de contaminations, un grand nombre de pays ne testant que les cas nécessitant une prise en charge hospitalière. Parmi ces cas, au moins 375.500 sont aujourd’hui considérés comme guéris.
L’Italie a annoncé dimanche 431 décès de la maladie Covid-19 dans les dernières 24 heures, son bilan le plus faible depuis le 19 mars, il y a plus de trois semaines.
L’Italie est l’un des pays au monde les plus meurtris par la pandémie, avec près de 20.000 morts selon les décomptes officiels.
(source : Le Soir )

En Belgique, on compte, à ce jour, 3.600 décès.

Mardi 14 avril : Hier, je suis montée à Villers-sainte-Gertrude par l’ancienne route, déjà répertoriée au 18ème siècle dans l’Atlas de Ferraris. A présent, c’est un sentier. Tous ces anciens passages ont bien failli disparaître. Heureusement, les randonneurs et vététistes se les réapproprient.

Je m’y rends pour porter des livres à mes amis. Nous faisons partie d’un comité de lecture : « Le Prix du Deuxième Roman », instigué par Armel Job et décerné par la ville de Marche-en-Famenne. Il y a quelques années, comme je logeais Muriel Magellan, la lauréate de l’édition précédente, j’avais été invitée au repas de clôture du festival. Un moment de plaisir pour la petite souris que j’étais, à grignoter les conversations des auteurs nominés, mes commensaux, pour quelques heures.

Mercredi 15 avril : Maman me téléphone au saut du lit. Elle est tombée dans son jardin, hier après-midi et ne sait plus sortir de son lit. J’appelle le médecin et en attendant de pouvoir le joindre, l’infirmière pour voir quel anti-douleur je peux lui donner. Comme elle est dans le village,  elle passe la voir. Elle et sa collègue, infirmières à domicile, pallient au travail des médecins et des aides familiales. Son regard est épuisé et je sens sa nervosité à fleur de peau, un rien la ferait craquer. Elles se sentent abandonnées de toutes parts et seules au front.

Pour ma mère, il n’y a rien de grave. Tout sera résolu avec des antidouleurs, du repos et de nouveau un petit sermon. Elle s’active encore comme une femme de cinquante ans. Or, sa chute pourrait-lui être fatale si elle devait être hospitalisée. Elle pourrait se retrouver seule, dans l’ambulance, seule à l’hôpital et seule devant l’inéluctable.

A l’arrivée du médecin, j’enfile mon premier masque. Il est fait maison et offert par la voisine.

Ma bouche et mon nez sont dans un hammam sous le tissu de coton blanc. Ça me rappelle Meknès et le hammam où le propriétaire du Dar où nous logions m’avait conduite, voici un petit texte inspiré par cette expérience :

Je suis à la porte du hammam dont rien n’indique l’entrée. Un couloir, un coude et je me retrouve dans deux petites salles vieillottes qui servent de vestiaire. Les vêtements resteront pendus au mur.
Je paie cent dirhams et me déshabille. Je fais comme les autres femmes; je garde ma culotte.
Par la main, la portière me fait passer dans une pièce puis m’indique d’entrer dans la suivante constituée de deux espaces de quatre mètres sur dix, avec voûte en berceau et deux, trois puits de lumière. Des pavés bleus et blancs sur pointe décorent les murs, le sol est fait de vieux carreaux, de ciment et de morceaux de toile cirée sur lesquels je m’assieds. Une vingtaine de seaux d’eau bouillante jonchent le sol, enfumant et réchauffant l’atmosphère. L’ayant vu faire à Fès, je me douche avec un petit pot en plastique. Arrive une matrone enrubannée d’un foulard noir et portant une ample culotte de même couleur. En parlant avec les mains, elle me fait enlever la mienne et me tartine d’argile. Nous sommes assisses sur la toile, à même le carrelage détrempé; je lui présente mon dos, qu’elle frotte énergiquement avec du savon noir et un gant de crin. Elle pousse mon corps vers le sol et pose ma tête sur sa cuisse droite; Dieu qu’elle est onctueuse, je la prendrais volontiers pour remplacer mon oreiller. Son sein obture mon oreille. C’est parfait, j’ai le tympan perforé et j’ai oublié de mettre un bouchon pour le protéger de l’eau.
On change!
Je couche ma tête sur son autre cuisse.
Bizarre!
Ou je m’habitue ou c’est moins douillet.
Le dos et les côtés étant faits, elle passe à mon ventre et mes seins. Elle n’oublie aucun repli. Je dois être rouge comme une écrevisse. Comme un sphinx, je m’étends dur le ventre, elle masse mes pieds en remontant vers les cuisses. Ensuite, je pivote et pose les pieds sur les siennes, elle continue de frotter inlassablement une main après l’autre.
La plante de mon pied touche à présent son pubis. Et l’autre ne va pas tarder à le faire. Elle tire sur mes jambes et nettoie le bas de mon ventre. Je ne sais où mettre les bras, aussi je les place sur ses pieds. Au point d’intimité où nous en sommes!
Je regarde mon corps, il est couvert de raclures.
Purée que j’étais sale.
Juste à côté de notre couple, une mère et son enfant, sont enlacés dans la même position. Et d’autres femmes dans le hammam suivent le même rituel, se lavant seules ou en couple. Un bon rinçage à l’eau bouillante et la séance se termine!
La masseuse me rend ma petite culotte bien essorée et repliée. Je n’ai plus qu’à m’habiller et à réintégrer ma chambrette.

Les bains thermaux sont des lieux que j’affectionne. Que ce soit à Baños en Equateur où je me suis évanouie, assaillie par la chaleur alors que la famille d’Alexandra continuait à deviser dans l’eau bouillante, au pied du volcan Tungurahua, en Colombie, dans les bains de Santa Clara où Angelica partageait une bière avec ses parents, oncle et tantes, en Iran, au milieu des maillots roses et tigrés des bains publiques de Sarein ou dans l’eau soufrée des bains Nr5 de Tbilissi en Géorgie, dans la salle commune fatiguée des plus vieux bains de la capitale.

Aujourd’hui, c’était jour des courses. Aucune paranoïa que ce soit au magasin d’alimentation ou à la pharmacie. Pas de masques, juste un écran de plexi qui me sépare d’un personnel très aimable. Est-ce la campagne qui rend les gens moins agressifs ou les journaux qui exagèrent ?

Pont de la Paix à Tbilissi - Géorgie
Pont de la Paix à Tbilissi – Géorgie

Jeudi 16 avril : Maman vient de partir aux urgences en ambulance. Suite à sa chute de mardi, elle souffrait le martyre. Elle doit passer une radiographie pour  s’assurer qu’elle n’a rien de cassé. Heureusement , ce ne sont que des contusions. Elle est alitée pour dix jours. J’espère qu’elle ne nous a pas rapporté de cadeau empoisonné de ses voyages en ambulance. Voilà des semaines que je la somme d’être prudente pour éviter les hôpitaux mais elle n’en a cure. La Reine Mère a nonante ans et n’en fait qu’à sa tête.

Les deux ambulanciers qui l’ont accompagnée, ne s’occupent que des urgences non covid. Ils voient leur charge de travail diminué car les gens confinés chez eux recourent moins à leurs services.

Sortir de la maison, rouler à vélo jusque chez ma mère qui habite Bomal, mon ancien village, me fait croiser de nombreuses connaissances. Nous avons tous besoin de contacts et de savoir comment nos amis passent le cap. Je m’arrête et nous discutons d’un côté à l’autre de la route, assez large que pour respecter la distanciation sociale. Je viens de parler avec ma voisine, à travers la haie mitoyenne. Elle est médecin généraliste au Grand-Duché du Luxembourg et se défend d’abandonner ses clients. Ses revenus ont diminués de 70% depuis le début de la pandémie. Puis, je passe chez Jojo, un autre voisin qui me donne une douzaine d’oeufs et me déclare ne pas posséder de carte bancaire : « ça n’empêche pas le pharmacien de prendre mon argent » me dit-il. Tout le monde sait qu’il n’a pas d’odeur!

A propos du covid, à ce jour, on recense 4.440 décès en Belgique. Certains s’étonnent de l’importance de ce chiffre par rapport à d’autres pays voisins mais le comptage incorpore aussi tous les cas suspects, c’est à dire tous ceux qui ne sont pas passés par l’hôpital ou qui n’ont pas été testés. Il y a peu, il n’y avait aucun dépistage dans les maisons de repos alors qu’elles rencontraient un taux élevé de surmortalité ces dernières semaines.

Le confinement est prolongé jusqu’au 3 mai. Seuls les jardineries et les magasins de bricolage pourront recommencer à travailler. Emilie ne peut toujours pas ouvrir son magasin de fleurs. Comme la fête des mères est dans trois semaines, elle aimerait s’y préparer. Elle réfléchit à proposer des commandes de bouquets standardisés via internet et à les livrer. Elle peut le faire tant qu’elle n’a pas de contacts avec ses clients. Un de ses collègues s’est fait prendre à mettre une plante dans le coffre d’un client. Il a écopé de 750 euros d’amende et le client de 250.

Les visites dans les maisons de repos sont à nouveau permises mais cette autorisation fait polémique et la Flandre l’a déjà annulée. L’intention est louable car la solitude et le manque de relations sociales tuent autant que le virus.

Le déconfinement commence tout doucement en Europe.

Vendredi 17 avril : Ah Coco, ce matin sur WhatsApp, j’avais envie de passer ma main sur ta petite tête comme le faisait ta maman sur l’écran et de sentir le parfum de tes cheveux. Quelle frustration de ne plus vous voir. Et pendant ce temps, tu grandis sans que nous puissions admirer tes progrès. Il parait que tu joues souvent à nous téléphoner mais quand c’est la réalité, tu restes muet à nous regarder. Quelle frustration!

Le chanteur Christophe vient de mourir ! Je n’aime pas employer les mots « disparus » ou « partis » . Ça donne l’impression que nous les avons perdus et que nous ne les retrouverons pas. Hors, sa musique restera une des meilleures de la chanson française.

Écoute « Aimer ce que nous sommes » album sublime dont la pochette a été créée par le photographe belge Stefan de Jaeger. C’est une composition de Polaroïds dont l’ensemble déstructuré redonne une nouvelle photo.

La première fois que j’ai entendu sa chanson « les mots bleus », j’ai été submergée par le rythme et la poésie. Je l’écoutais en boucle avec mon amie Andrée. J’avais quinze ans et je vivais chez elle  pendant la semaine. Avec l’étonnante reprise de Bashung, c’étaient deux pans de ma vie qui se télescopaient.

Un soir, perdus sur une petite place vénézuélienne, attendant notre tour devant un foodtruck, une vieille américaine s’est garée et par les portes ouvertes, « Aline », le tube de Christophe dans les années soixante a retenti à tue-tête. Après un moment de surprise, nous avons repris le refrain avec la même intensité. Ce fut un moment magique au bout du monde !

J’avais dessiné sur le sable Son doux visage qui me souriait Puis il a plu sur cette plage Dans cet orage elle a disparu Et j’ai crié, crié Aline Pour qu’elle revienne Et j’ai pleuré, pleuré Oh! J’avais trop de peine

Tu te demandes sans doute comment nous nous sommes retrouvés là-bas? Un simple troc. Nous avons accueillis de nombreux étudiants étrangers. Luis est resté un an chez nous et nous avons été reçus dans sa famille au Vénézuela. Le soir en question, nous étions partis  avec toute la famille en minibus dans les Llanos. Le père de Luis avait égaré l’adresse de la maison d’hôtes où nous comptions nous arrêter. Il se souvenait juste qu’elle était située sur la place Bolivar.

Il s’arrêtait dans chaque village pour demander où se situait cette dernière.

Le problème, c’est que dans chaque village, il y en a une. Tu t’imagines le pèlerinage, à la nuit tombée, sans éclairage urbain, à chercher cet hôtel. Et, nous y sommes arrivés!

Avec Jorge, nous nous sommes retrouvés au Mexique, avec Alexandra, en Equateur et avec Angelica, en Colombie. Partout, nous étions papa et maman reçus sur place par Padrecita et Madrecita. Être accueillis dans une famille est le must pour comprendre le pays.

Samedi 18 avril : Aujourd’hui, le débat porte sur la déshumanisation de la société.

Le groupe en charge de la stratégie de déconfinement ( GEES ) ne comporte que des spécialistes sanitaires ou économiques. Aucun représentant des sciences humaines et sociales. Un comité de cent vingt-trois chercheurs et chercheuses a proposé ses services académiques aux décideurs politiques car nos comportements actuels entraînent une déshumanisation qui risque de laisser des traces : les jeunes sont bloqués chez eux, pas de copains, pas de petit ami(e) – les réseaux sociaux, c’est bien, mais le contact c’est mieux – les funérailles sont à huis clos, sans visite, cela ne respecte pas nos habitudes, nous qui aimons « partager nos morts », les fêtes de famille n’ont plus lieu, la distanciation nous empêche de témoigner par un baiser ou une embrassade, notre amour ou notre sympathie, sans parler de la surveillance policière et du traçage qui nous effraient et risquent de rogner nos libertés.

La pluie est enfin au rendez-vous, même si elle nous cloue à l’intérieur, elle est nécessaire car la terre à soif. Depuis plusieurs semaines, nous avons un temps magnifique mais le printemps nécessite de l’eau pour hydrater toute cette nature en plein développement. Tout comme nous avons besoin de liberté pour ne pas nous pétrifier.

Je ne t’ai pas encore parlé du président des Etats-Unis, le milliardaire Donald Trump, un vrai show man qui tweete plus vite que son ombre. Ces messages sont toujours à l’emporte-pièce et il n’hésite jamais à se contredire. Pour l’instant, il a refilé la patate chaude du confinement aux gouverneurs mais les presse de réouvrir pour soutenir l’économie. Il attaque principalement les gouverneurs démocrates et les apostrophe au cri de : « Libérez le Michigan, libérez la Virginie », exhortant ses militants à défier l’autorité pour réclamer leur liberté de circulation, au nom du deuxième amendement qui leur donne le droit de porter des armes.

Ce type est fou et dangereux!

Les États-Unis sont devenus le premier foyer mondial avec près de 40.000 morts. Plus de vingt- deux millions d’Américains se sont retrouvés au chômage en quatre semaines dans un pays très mal préparé à la pandémie

Friterie à Bastogne De la série « Nationale 4 »
Friterie à Bastogne De la série « Nationale 4 »

Dimanche 19 avril : Depuis quelques jours, j’ai recommencé les réveils matinaux pour aller lever maman, lui faire à déjeuner et ouvrir la porte à l’infirmière.

La société de pêche a procédé à un rempoissonnement mais comme la pêche est fermée, ce sont les hérons qui en profitent. En remontant le long de la rivière à vélo, j’en ai vu plusieurs, sentinelles hiératiques, frémissant à la moindre alerte.

Nous sommes partis pour cinquante kilomètres. Le temps est frais et la pluie d’hier n’a rien humidifié, juste quelques gouttes vaporisées sur une terre bien trop sèche. Le jaune d’avril resplendit après le blanc de mars. Ce sont les pissenlits à foison, les genêts d’Ardenne, les primevères et les euphorbes qui remplacent les nuages de mousseline blanche des prunelliers et des merisiers.

Les Belges qui ont tous une brique dans le ventre – et non pas, une frite quoiqu’on en dise – sont heureux car les magasins de bricolage et les jardineries sont ouverts depuis hier matin. Ce sont de longues files d’attente pour y accéder.

Je corresponds beaucoup avec Irène, une Allemande de Cologne qui vient chez nous depuis treize ans. Elle et Mathias, qu’elle surnomme Matteo, passent, chez nous, plusieurs W.E par an. Ce sont devenus des amis et notre maison une de leur seconde résidence car ils voyagent beaucoup. Vivant dans un petit appartement, sans enfant, leur plaisir est de visiter le monde.

Ce sont de vrais Baby boomer ceux contre lesquels les jeunes fulminent les rendant responsables de la destruction de la terre. Ce sont pourtant mes semblables, rejetons de parents ouvriers — le grand-père d’Irène venait de Pologne —

qui ont tout fait pour améliorer la qualité de vie de leur descendance.

Notre enfance était un monde étriqué par l’éducation religieuse, l’école et la famille. Nos vêtements avaient plusieurs vies et passaient de l’un à l’autre (même les soutiens gorges défraîchis). Nous vivions dans les souvenirs familiaux de la deuxième guerre et les tensions Est – Ouest. Nous partions en vacances à cinquante kilomètres et parfois pour quelques jours à la mer du Nord. C’est la chute du mur de Berlin qui nous a ouvert d’autres horizons, le monde est devenu un village. Nous avons alors réalisé nos rêves : aller et retourner à Istanbul, voir Venise, découvrir Madrid et l’Andalousie puis les faire découvrir à nos parents et enfants. Nous sommes partis en Grèce par des vols « Virgin » qui ne coûtaient rien. Le monde nous ouvrait les bras.

 Avons-nous eu tort d’en profiter?

Lundi 20 avril : Deux fenêtres ont été remplacées dans les chambres d’hôtes et ce matin, j’ai commencé à repeindre la pièce. Dans l’après-midi ensoleillée, j’ai été cueillir des pissenlits pour en faire de la gelée.

Nous sentons que le confinement pèse de plus en plus, les gens ont envie de se revoir.

Au niveau de l’épidémie, il y a des signaux d’amélioration : moins de patients aux soins intensifs, un nombre d’hospitalisations stable et des décès annoncés moins importants que la semaine dernière. A ce jour, 5.828 morts.

L’Allemagne commence le déconfinement, le Luxembourg va emboîter le pas.

Mardi, les drive-in de Mac Do rouvriront. La malbouffe prend déjà les devants alors que le déconfinement n’est pas encore programmé. Il me semblait pourtant  que cette épidémie allait révolutionner notre vie!

Mardi 21 avril : hier soir, ta maman m’a envoyé des photos de votre ultime balade de 14km autour de Liège. J’adore la première avec Géraldine et Paola, la fille étant aussi grande que la mère et le dernier cliché où tu trottines derrière ta soeur, sur les trottoirs en pente de la colline de Cointe. Tu ressembles à un petit lutin, résolu et curieux de découvrir ton environnement.

Le calme du village est déjà chamboulé. Le ballet des camions qui se fournissent à la carrière a recommencé. Nous sommes quelques uns dans le village a surveiller cette entreprise. Il y a six ans, elle a voulu s’agrandir et nous avons constaté qu’elle travaillait sans permis. Après avoir averti les autorités, ce problème a été résolu. L’entreprise aimerait s’agrandir et une révision de plan de secteur a été sollicitée pour changer l’affectation de terrains qui l’entourent. Ce sont des terres calcaires de très bonne qualité agricole, situées dans un endroit remarquable, cernées de bois labellisés «Natura 2000» et à proximité du site mégalithique de Wéris. Nous avons introduit avec notre groupe citoyen un recours au Conseil d’Etat mais nous nous sommes fait débouter. Une nouvelle étude d’incidence est en cours pour l’obtention du permis d’exploitation de ces nouvelles terres.

Mercredi 22 avril : Je viens de terminer ma gelée de pissenlits. Il m’a fallu les pétales de quatre cents fleurs pour cinq pots de cramaillotte. Un délice! En montant vers la réserve naturelle qui surplombe le village de ses terrains calcaires, rendus au pastoralisme, je suis tombée sur les premières orchidées en fleurs. Quand nous étions partis en Equateur, une amie m’avait demandé de prendre des photos d’orchidées, plantes qu’elle adore. Je suis revenue bredouille. Au printemps, je lui ai proposé de découvrir celles de notre région : Orchis tacheté, néoties – nid d’oiseau et platanthères ont satisfait sa curiosité.

Dans la matinée, quand je reviens de chez maman, la lumière sur la rivière est somptueuse. Les premiers prés sont fauchés et la rosée les rend brillants. Les pattes bien ancrées dans l’herbe couchée et humide, le héron attend sa proie de même que le chat roux tapi entre les andains.

Notre balade vélo nous emmène dans le bois de Ny, à la cueillette de l’aspérule odorante pour préparer le maitrank. C’est une boisson typique du sud de la province de Luxembourg.

15 Aspérule BD- Marie-France Lesage -
Recette du maitrank : pour un litre de vin blanc luxembourgeois, Elbling de préférence, sept morceaux de sucre, une feuille de cassis, une orange bio, un verre de porto blanc et un de cognac, un morceau de cannelle et quinze branches d’aspérule non fleurie. Laisser macérer vingt quatre heures puis filtrer et mettre en bouteilles.

La confiture que je prépare avec les oranges qui ont macéré dans le vin et la rhubarbe du jardin est ma médaille d’or. Il faut dire que c’est moi qui donne les distinctions!

L’année prochaine, nous devrons chercher un autre bois car l’ombre se resserre et l’aspérule qui préfère un sous-bois plus éclairé, disparaît peu à peu.

Dans le journal du jour, une page entière est consacrée à la façon de porter correctement un masque.

Dire qu’il y a quelques mois, quand nous croisions un Japonais masqué nous le prenions pour un excentrique. A présent, c’est nous qui le sommes.

Il y a de beaux portraits à prendre avec ses masques de toutes les couleurs fabriqués maison!

Un effet secondaire du covid et de la récession économique est la diminution du prix du pétrole. Il se négocie au prix de l’eau!

Jeudi 23 avril : ce matin, j’ai amené Mamy, masquée et gantée, chez l’ostéopathe qui est mon oncle Jacquot. Le temps de la séance, j’ai été saluer ma tante Roselyne. Nous sommes restées à bonne distance l’une de l’autre à papoter du Covid, bien sûr, et des photos de sa famille que je suis en train de scanner, en dressant l’arbre généalogique.

Juste avant que je ne parte, elle a sorti un épais registre de comptabilité dans lequel ses parents avaient écrit leur vie. Pour moi, ce sont 300 pages de pur bonheur que je me réjouis de lire et d’annexer aux photos.

Cette nuit, Emilie a reçu ses premières fleurs, en direct de Hollande. Le reste, elle est allée le chercher chez un grossiste à Ciney. Elle est heureuse de recommencer à travailler. Elle est diplômée des HEC mais a toujours préféré enfouir ses mains dans la terre et travailler dans les fleurs. Elle n’a pas l’autorisation d’ouvrir le magasin. Elle doit prendre les commandes et livrer celles-ci, sans aucun contact avec les clients.

La journée se termine, je vais m’assoir dans mon hamac, suspendu au tilleul qui jour après jour débourre et laisse sortir son feuillage. Cet arbre, nous l’avons planté pour la naissance d’Alice. Il est majestueux et ombre nos après-midi d’été en plus de nous donner ses fleurs pour un délicieux thé que je prépare avec quelques roses que j’ai ramenées de Tabriz et que Lucie adore.

Je vais terminer « la fabrique des salauds » qui n’arrive pas à la cheville du roman d’Edgar Hilsenrath «  le barbier et le nazi » que notre ami Frédéric, nous avait fait découvrir il y une dizaine d’années.

Vendredi 24 avril : C’est l’anniversaire de ton arrière grand-mère, la maman de Pépère. Elle aurait eu 85 ans. C’était une belle-mère adorable, nous nous entendions très, très bien. Une belle femme de caractère, pleine d’amour pour ses enfants et son mari qui d’un naturel plus paresseux, a beaucoup profité d’elle. A vouloir tout gérer à la perfection, son couple, son ménage, sa famille – elle avait des doigts d’or, cousait et tricotait des merveilles – elle s’est enfoncée dans une déprime alcoolique. Elle n’en est jamais sortie et est morte à 56 ans.

Chaque fois que j’entre dans ma chambre, je longe ton lit dans lequel attendent les derniers vêtements qui trainaient encore chez nous. A ta prochaine visite, ils seront trop petits.

Voici plusieurs jours que je ne regarde plus la télévision. Ce sont toujours les mêmes reportages. Les applaudissements de 20 heures qui deviennent des obligations. Les âneries de Trump : hier soir, il suggérait d’envoyer du désinfectant directement dans les poumons comme si le corps humain était une citerne à récurer. A New York, un habitant sur deux est positif et il y a déjà plus de 50.000 morts dans le pays.

Par contre, je suis curieuse d’entendre le conseil national de sécurité qui se réunit aujourd’hui et va  nous donner sur base des recommandations des scientifiques, les pistes du prochain déconfinement.

Sans télévision, c’est ma bulle internationale qui se referme mais la locale s’ouvre de toutes parts. Ma belle-soeur Catherine vient de s’arrêter quelques instants. Christophe est passé chercher Didier pour un tour à vélo. Olivier m’a déposé ma commande de farine. Nous prenons des nouvelles des voisins et constatons tous que nous nous habituons très bien à ce rythme peinard.

Ici, je parle pour les  personnes de plus de cinquante ans, je ne sais pas si les jeunes seraient d’accord avec moi.

La coalition climat qui regroupe plus de 70 organisations du pays réclame d’être associée à la réflexion sur la relance qui ne doit pas être uniquement économique mais également environnementale et sociétale.

C’est le moment de changer une économie très polluante et inégalitaire. Il faut remailler l’économie locale, construire un habitat durable, proposer une alimentation saine et une mobilité réfléchie et efficace car notre ancien système présentait beaucoup d’incohérence. Pour cela, il faut utiliser l’intelligence collective.

Emilie est contente de ses ventes et fort émue car, au cours de ses livraisons, elle a rencontré des personnes touchées au coeur par la réception de leur bouquet au point qu’elles pleuraient d’émotion.

Samedi 25 avril : Tard dans la soirée de vendredi, nous avons pris connaissance des mesures de déconfinement. Il commencera en partie le 4 mai par la reprise du travail, la hausse des fréquences des transports en commun où le masque sera obligatoire et la pratique de certains sports.

Le 11 mai, ce sera la réouverture de tous les autres commerces exceptés les cafés et restaurants qui ne rouvriront qu’au plus tôt le 8 juin. Rouvrir tous les commerces est risqué au point de vue sanitaire mais nécessaire économiquement. Les scientifiques, pour leur part,  préconisaient un déconfinement plus lent, laissant la place à l’humain avant l’économique. Les écoles ouvriront le 18 mai pour certaines classes, certains jours et en nombre réduit. C’est également le même jour que le confinement familial devrait être assoupli. Toutes ses mesures sont évolutives et à affiner.

Nous sommes prévenus que nous pourrions à tout moment revenir au confinement si la situation se détériorait.

Dimanche 26 avril : Je crois que je déprime. J’ai tout le temps envie de pleurer. J’ai l’impression que tout ce que nous avons construit avec nos enfants et petits-enfants se détricote. J’ai besoin de les serrer dans mes bras, de les « renifler » comme  une chatte le fait de ses petits.

Tous les dimanches matin, Éric s’arrête pour prendre de nos nouvelles. Il descend à vélo de Villers pour venir chercher les petits-pains. Nous en profitons pour papoter quelques minutes. Pendant ce temps, Emilie passe, elle est en livraison et s’arrête boire un café. Nous restons tous sur le trottoir, à bonne distance. C’est incroyable! Ce ne sont pas nos valeurs d’accueil que de recevoir nos amis sur le pas de la porte sans les faire entrer.

Hier, Salomé, la nièce d’Émilie avait 18 ans. Ses amis sont venus sur la place de la ville où elle habite et ont klaxonné de concert avec des calicots pour lui souhaiter son anniversaire. Pas de contact physique, pas de fête. Pauvre jeunesse! Et nous, les baby boomers, nous pédalons à tire larigot sur nos vélos électriques, entretenant notre santé et risquant bien de devenir centenaire.

Au cours de ma randonnée du jour, j’ai croisé Cecile et Jean-Pierre, rien à faire, nous tombons toujours sur une connaissance ou l’autre. Pendant que nous papotions, j’ai entendu le premier coucou, j’ai fait le voeu de vous revoir bientôt. J’espère que cela se réalisera car je n’avais aucune pièce de monnaie en main comme le veut la tradition. Vu que tout est fermé, nous nous baladons partout sans argent.

Lundi 27 avril : Hier, nous étions au quarantième jour de la mal nommée quarantaine. Il parait que dans les sous-marins, c’est le plus difficile à passer. Fabian, ne sait toujours pas quand il pourra recommencer ses consultations à l’hôpital. Il est toujours en horaire réduit ce qui lui laisse le temps de ressortir ses partitions de piano et de jouer de la cornemuse. Une maison de repos lui a demandé de venir jouer pour ses résidents. Un concert au Nord et un autre au Sud puisque les pensionnaires ne peuvent pas sortir de leur chambre. De toute façon, vu la portée de l’instrument, je crois qu’on l’entendra aux quatre points cardinaux.

Marie-France Lesage


Pandémie 2020, vies humaines
revue en ligne

par nos auteurs, photographes et nos invités

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2 réponses sur « Lettre à Cosimo »

Ce journal est un cadeau pour ce petit garçon qui ne se souviendra pas de ce printemps 2020. Mais il gardera avec ces mots toute une mémoire tissée de personnes, de lieux, d’habitudes, de recettes, … et tellement empreinte de tendresse dont nous profitons aussi… Merci Marie-France, pour cette immersion tellement chaleureuse.

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